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mardi 18 juin à : 14:00 (CEST)

Collection Brigitte et Roland Broca : lettres et manuscrits autographes, partie I, lots 296 à 609

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3, rue Favart 75002 Paris, France
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314 résultats

Lot 299 - Guillaume APOLLINAIRE (1880-1918). L.A.S. «Gui», Nîmes 26 décembre 1914, à Louise de Coligny-Châtillon; 4pages in-8 au crayon sur papier du Gd Hôtel du Midi & de la Poste. Belle lettre amoureuse à Lou. «Mon amour très chéri, aujourd’hui 2 lettres de toi […] Tu penses si je suis content. Quartier libre encore mais comme il faut revenir à 3h. pour l’abreuvoir, je n’ai pas osé demander la permission de la botte l’ayant eue hier et comptant la demander demain. Je te télégraphierai l’heure de mon arrivée à Nice. […] on peut avoir ici de bonnes chambres à 20fr. par mois»…. Mais les nouvelles ne sont «pas bonnes. Un brigadier qui a sa femme à Compiègne a dit qu’elle lui a écrit qu’on allait évacuer cette ville. Et Compiègne prise, c’est Paris menacé, investi peut-être et alors adieu projets charmants, argent à venir! Ma chérie, moi je t’adore chaque minute davantage. Ta dépêche d’hier a été pour moi un bonheur exquis. Oui! mon Noël c’est ton amour et ta dépêche t’amenait si près de moi que je l’ai baisée mille fois. Je ne m’étonne pas que tu ailles prier Dieu à l’église. Toutes les grandes questions, a dit Donoso-Cortes (si ce ne sont pas les propres termes c’est du moins le sens), toutes les grandes questions, toutes les grandes choses, vont à la théologie ou en viennent. Rien d’étonnant que notre amour, la plus grande chose que nous connaissions, ma chérie, aille vers Dieu. […] Oui chérie j’ai eu le plus beau Noël possible – ton amour! Chérie, je tiendrai toutes les promesses que je t’ai faites. Non, je ne te demande pas de men relever et je ne veux en rien jamais te faire de peine. J’ai du courage pour tout, sauf pour tout ce qui pourrait te menacer toi et notre amour». Son secrétaire Jean Mollet s’est montré sceptique quant à son amour: «J’ai bien ri et l’ai engueulé dans ma réponse. Ce brave imbécile a vraiment une mauvaise opinion de moi. Mais je ne peux lui expliquer toute la force de cet amour qui est pour moi plus que le ciel, ma toute chérie». Il parle ensuite d’Eugène Montfort, dont la revue Les Marges avait été en partie financée par le mari allemand de Marie Laurencin.: «il ne parle que de pourfendre les Boches après avoir mendié leur argent puisqu’il avait beaucoup d’actionnaires allemands, Kessler entre autres, et que moi dans ma revue Les Soirées de Paris, je n’ai jamais voulu d’argent allemand, sauf des abonnés, car on ne peut empêcher quelqu’un de s’abonner à une revue». Et il termine: «Je t’aime de toutes mes forces, de toute mon âme, de tout mon cœur, de tout mon être. Il fait un froid de chien. Je t’embrasse partout et mords tes lèvres. Tu fais le lézard au soleil, belle indolente». Il ajoute qu’il a visité la Maison Carrée, et le musée de Nîmes, «pour y voir l’original du portrait de Lucrèce Borgia dont la reproduction ornait mon livre La Rome des Borgia paru en 1913 et qui a eu beaucoup de succès»... Lettres à Lou, n°27.

Estim. 2 000 - 2 500 EUR

Lot 303 - Louis ARAGON (1897-1982). L.A.S. «Louis A.», Lundi [février 1919], à Jean Cocteau; 2 pages in-4, enveloppe. Curieuse lettre relative à la préparation du premier numéro de Littérature – qui paraît le 1er mars 1919 (le jour même où cette lettre arrive à Paris), et dont les dadaïstes ont exclu Cocteau et Max Jacob, alors que Cocteau a inondé Aragon de lettres pour faire accepter sa collaboration. ... «Mais vous voyez bien que je ne vous croyais pas capable de ces vilenies puisque je vous écrivais encore. Si je les avais admises, le silence et le mépris. Seulement vous cherchez des responsables: il y en a plus loin que ceux à qui vous pensez et de qui je serais prêt à tout admettre, parce que je ne sais pas aimer à demi. Je reconnais ici une méchanceté qui s’est déjà exercée contre ceux que j’aime. Je répugne à vous livrer son visage. Au delà des malentendus il est tout de même une propreté, je ne suis pas agent des mœurs». Aragon est en Allemagne «parmi les usines et les chemins de fer. Mes amis m’écrivent; une revue aux couleurs du jour, mon nom près du leur quand je reviendrai. Aussitôt, bonheur de se compromettre, j’exige qu’ils me lient à eux dès le premier pas. Tout se passe en dehors de moi, au pays de la confiance. Soudain cette aventure à pleurer. Mes amis écoutent d’autres gens, croient qu’on me berne, qu’on m’arrache à eux. Je ne sais plus sur quel ton crier la vérité»... Aragon supplie Cocteau d’avoir foi en lui jusqu’à son retour et «d’aimer, un peu, malgré lui-même, mon ami André [Breton], l’image de toute pureté»...

Estim. 500 - 700 EUR

Lot 304 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, avec L.A.S. d’envoi [à André Gide], La Demoiselle aux Principes, [1918]; 5 et 1pages petit in-4 (25,5 x 22 cm). Manuscrit complet de ce conte recueilli dans Le libertinage (Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1924). Il a été d’abord publié dans Les Écrits nouveaux (II, 10, août-septembre 1918). Marqué, au dire d’Aragon lui-même, d’un certain dandysme, ce conte, d’inspiration gidienne dans le style de Paludes, y fut dédié à André Gide. «La Marchande offrait des violettes: Denis les acheta, puis, embarrassé, les tendit à Céline qui fut la première femme venue. Elle croyait à deux vérités: l’immortalité de l’âme et l’omnipotence de l’amour»… Le conte insère un poème de 12 vers composé par Denis. Le manuscrit est soigneusement mis au net, à l’encre turquoise sur des feuillets de papier vélin fort; il est signé «Louis Aragon». Il est resté inconnu des éditeurs des Œuvres romanesques complètes, qui n’ont recensé aucun manuscrit pour ce conte. Il est accompagné d’une lettre d’envoi à André Gide, le mercredi 27 [février ou mars 1918]: «Maître J’ose vous envoyer ce conte, tout indigne qu’il soit de sa présenter devant vous. Plus désireux d’être jugé sur ma bonne volonté que sur mes faibles moyens, j’ai conçu le projet de vous le dédier: m’y autoriserez-vous? Déjà trop indiscret en vous priant de lire cet essai malhabile, je veux me borner ici à vous assurer de ma particulière et respectueuse admiration qui, elle, n’a point de bornes»…

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 305 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, Madame à sa tour monte; 9pages in-fol. (petites usures au pli au dernier feuillet). Première version du conte publié dans Le libertinage (Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1924). Elle présente d’importantes variantes avec le texte publié. Selon Aragon («Avant-lire» dans l’édition de 1977), cette première version daterait de 1919; il ajoute: «je n’ai peut-être de ma vie tant récrit, retravaillé un texte», parlant de trois ou quatre versions successives. Celle-ci, par l’intermédiaire d’un tapuscrit conservé à la Beinecke Library de Yale, a été traduite en anglais dans The Dial en janvier 1922. Le manuscrit, à l’encre noire sur de grands feuillets ne laissant qu’une marge étroite, présente quelques ratures et corrections. En bas du dernier feuillet, Aragon a inscrit ce vers de Baudelaire: «La froide majesté de la femme stérile C.B.». Aragon fait dans ce conte le portrait d’une jeune femme nommée Matisse. «Pour la première fois dans la littérature, Matisse n’est pas une princesse russe mais une rousse qui naquit aux Batignolles, il y a tout-de-même, plus de vingt ans. Ses bras, les plus longs du monde, aboutissent à des mains à peine ébauchées, si grandes qu’on les imagine faites pour soutenir un front pensif»… Et il conclut: «Si Matisse n’était pas si froidement raisonnable, elle dominerait vite la ville comme autrefois une Ninon, comme aujourd’hui une Sorel. Elle se contente de l’habiter».

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 308 - Louis ARAGON (1897-1982). L.A.S. «L.», Lundi soir 4 Décembre [1939], à Elsa Triolet; 4pages in-4. Longue lettre amoureuse d’Aragon soldat à Elsa. La nuit, près d’un feu de cheminée, Aragon écrit à Elsa... «Oh je voudrais encore t’avoir contre moi, déjà tu me manques affreusement, déjà ton petit sourire se perd, je ne t’entends plus, je ne peux plus te dire Monku, je ne peux plus toucher le petit nu. Mon aimée, mon aimée, quand sera-t-on encore ensemble? Pourtant je dois te dire que j’ai pris en permission, près de toi, contre toi, de toi, une grande, une énorme provision de courage. Je vais beaucoup mieux, physiquement et moralement, que quand je suis arrivé à Paris l’autre jour. Comme tu dis, je suis presque normal»... Il réclame divers objets... «L’atmosphère ici est meilleure qu’avant mon départ. Assez détendue. Je parle simplement de la popote et des officiers les plus proches. Nous avons été félicités par le général pour nos travaux, il a distribué de l’argent aux meilleurs travailleurs etc.» Il y a des bruits de départ... Aragon raconte la vie quotidienne, les parties de dominos et la causette après dîner... Il parle des chaussettes que lui a envoyées sa mère... «Le manuscrit de la fin du roman [Les voyageurs de l’impériale] repose donc devant moi, à ma droite, sur ma table, et dès demain je me mettrai d’arrache-pied au travail. On est écrivain ou on ne l’est pas, pas vrai?»... Il va écrire à Paulhan et à sa mère... Sa lettre est «interminable»... «je continue à être comme cela encore un peu avec toi. Tu dis, je t’entends d’ici, que je te parle plus quand je ne suis pas avec toi. Ne te moque pas de moi, ma méchante aimée, de moi et de mes grands soucis. Tu sais bien que mes soucis, il y en a 9 sur 10 qui t’ont pour sujet. Tout tourne autour de toi dans cette tête et ce cœur qui t’appartiennent. Tout dans le monde, et tout dans le ciel. Cela me fait penser que j’ai promis trois poèmes. Tu vois ce pain sur la planche! [...] Je vais essayer de m’endormir en cherchant des rimes nouvelles et extraordinaires comme des contes d’Edgar Allan Poe. Quelque part, le nommé Paul Valéry a dit: On peut s’endormir sur n’importe quel mot... Je vais voir s’il a raison. Mais je sais bien que si le mot était Monku, je ne pourrais jamais, jamais m’endormir tout seul. Mon amour que je n’ai pas assez embrassé, mon amour qui me manque tant, mon amour qui m’inquiète, mon petit qui as peut-être mal ce soir... [...] Je t’aime, je t’aime, et je recommence à compter les jours, les nuits, à écouter les bruits dans l’ombre, à penser à la rue de la Sourdière, à tout ce qui t’entoure, et à me ronger. Oh, mon amour, vite, vite que je t’aie dans mes bras!»...

Estim. 1 000 - 1 500 EUR

Lot 311 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, Discours aux étudiants de Paris, avril 1945; 7pages in-4 plus une page de titre. Discours «prononcé à la Mutualité, au printemps 1945 (au soir du 24 avril)», complété par un poème extrait de La Diane Française. Au bas de la page de titre, Aragon a précisé: «Manuscrit mis en vente le 21 juin 1945 à l’Hôtel Salomon de Rothschild au bénéfice du “Comité National des Écrivains” issu de la Résistance. Ce manuscrit contient une copie du poème Du Poète à son parti extrait de La Diane Française». Dans ce discours aux étudiants, Aragon fait la part belle au Parti Communiste Français, qui a fait de lui «un Français, et un homme, non pas en lui donnant en 1927 une carte d’adhérent, mais en le modifiant chaque jour un peu de ses leçons et de sa pratique». Il veut essayer de donner ici une «idée de ce qu’est un intellectuel communiste français, de ce qu’est pour lui son parti»… Avant tout il tient à rendre hommage «à l’homme qui préside cette soirée, à l’un des plus grands physiciens de ce siècle, dont le nom, les travaux, la figure sont autant de raisons de plus qu’a le monde entier d’aimer et d’admirer la France […], le professeur Paul Langevin», sur lequel il écrit de vibrantes lignes… Aragon évoque ensuite longuement la mémoire de Gabriel Péri, entré au Parti «dès sa jeunesse, et qui est mort pour lui et pour son pays, ne les ayant jamais l’un de l’autre dissociés»… Il retrace l’évolution intellectuelle et politique de Péri depuis sa découverte du matérialisme dialectique et la lecture de Marx et Engels, jusqu’à sa mort héroïque, parfait exemple d’un «intellectuel communiste français». Aragon cite encore, au Panthéon du Parti, les noms d’Anatole France, Henri Barbusse et «l’un des créateurs de la musique moderne, Erik Satie». Il salue aussi «notre grand Paul Vaillant-Couturier à qui je dois tant, et qui aura été le symbole même de l’alliance des intellectuels avec les ouvriers et les paysans de France». Il cite encore, parmi d’autres adhérents du Parti, «le grand peintre Pablo Picasso», et Paul Eluard, «qui représente la plus pure pointe de notre poésie»… Et il termine par son poème-hommage (3 quintins), Du poète à son parti: «Mon parti m’a rendu mes yeux et ma mémoire Je ne savais plus rien de ce qu’un enfant sait Que mon sang fut si rouge et mon cœur fût français Je savais seulement que la nuit était noire Mon parti m’a rendu mes yeux et ma mémoire»…

Estim. 1 200 - 1 500 EUR

Lot 312 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, Alfred de Musset, [avril 1957]; 13pages in-4 (plus 2 versos biffés), avec ratures et corrections (dernier feuillet déchiré en deux et réparé). Beau texte sur Alfred de Musset, paru dans Les Lettres françaises, n° 667, 18 avril 1957. Le manuscrit présente des ratures et corrections, avec deux versos d’un première rédaction biffée. «Il n’y a peut-être, de toute la prose française, rien qui m’ait tant appris, tant fait rêver, tant dérouté, que ce presque initial chapitre de La Confession d’un enfant du siècle: “Pendant les guerres de l’Empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne”… Ce chapitre-là, c’est peut-être la naissance du roman moderne», l’aube de Stendhal, Flaubert, Tolstoï, Zola, etc. Combien de fois a-t-il relu ce chapitre pour ses phrases sublimes, dont il cite plusieurs, alors que le reste du roman l’a toujours déçu: «Cette extraordinaire inégalité du préambule et du roman, à vrai dire c’est tout Musset»… Dans ses poèmes aussi, presque partout on trouve des vers (qu’il cite) qui le font aussi grand que Heine, Rimbaud, Baudelaire… Il parle aussi de son théâtre, qu’il ne goûte guère hormis Lorenzaccio et les Caprices; mais surtout il y a Namouna «qui est tout ce que nous pouvons montrer dans notre langue à côté d’Eugène Onéguine, Namouna que je tiens pour un des plus grands poèmes jamais écrits»… Etc.

Estim. 1 000 - 1 500 EUR

Lot 313 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, Stendhal en URSS ou le miroir vivant, [septembre 1957]; 3 et 13pages in-4 (paginé 1-3 et 12-24). Sur Stendhal vu par la critique russe. L’article parut en deux parties, dans Les Lettres Françaises du 19 et du 26 septembre 1957 (nos 688 et 689). Aragon réagit à une étude d’Ilya Ehrenbourg sur Stendhal vigoureusement critiquée par N. Tamantsev. Bien qu’Aragon soit accoutumé à se disputer avec Ilya Ehrenbourg, car «Nous différons sur tout, sauf sur l’essentiel», il va cette fois prendre son parti face à Tamantsev… Aragon, «rougiste» convaincu, défend le point de vue d’Ehrenbourg et explique comment, face à une œuvre aussi connue que celle de Stendhal, les deux stendhaliens russes en apprendront plus au lecteur sur la Russie contemporaine que sur Stendhal… Après ce préambule, Aragon va publier l’article d’Ehrenbourg (non joint au manuscrit). Le miroir vivant (suite et fin). Aragon, après Ehrenbourg, donne la parole à Tamantsev, «vigoureux défenseur de Stendhal. Mais contre qui, contre quoi?»… Aragon prend alors longuement la défense d’Ehrenbourg, à propos de Stendhal, puis réagit à l’accusation portée par Tamantsev comme relevant «de sa théorie fautive, la théorie du samovyrajenié, de “l’auto-expression”»… Aragon démonte cette accusation, et montre qu’au fond, Tamantsev n’aime pas Stendhal, qui ne correspond pas à sa théorie de la littérature. Sur le rôle de l’écrivain, Aragon cite Serafimovitch, «l’auteur du Torrent de fer, déjà l’un des “classiques” de la littérature soviétique», puis Fadéev, avant de conclure: «L’un des grands reproches faits à Ehrenbourg est d’avoir dit que Stendhal n’a pas vécu pour la littérature, mais que c’est sa vie qui lui a permis d’être un grand écrivain. C’est une hérésie pour N. Tamantsev»… Aragon laisse finalement le lecteur se faire sa propre opinion quant au point de vue des écrivains soviétiques sur Stendhal…

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 314 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, J’abats mon jeu, [1959]; 2 pages et quart in-4. Présentation de son livre J’abats mon jeu (E.F.R., 1959). «J’abats mon jeu... [...] Je joue. Oui. Dans un monde où toutes les cartes sont faussées, où je suis du côté de ceux qui perdent toujours, et en ont assez de perdre. Mon jeu est le leur. Je joue pour leur donner des armes. J’ai choisi, dès ma jeunesse, le jeu d’écrire. Je l’ai joué de bien des façons, j’ai appris lentement à perdre. Ma vie, mon âme. J’avais de belles cartes toujours battues. Et même une certaine délectation à les voir emporter par le vent. Je joue. Mais ce jeu-ci n’est plus le jeu d’alors. Je cherche des armes, et j’en trouve. [...] mon jeu n’est plus que le mien, car il s’est mis, lui, à la taille du monde»... Le livre est composé de textes écrits après La Semaine Sainte, ainsi que «d’articles, de paroles prononcées dans les cinq dernières années, et qui ont trait au réalisme socialiste». Il explique pourquoi «la littérature soviétique» y tient tant de place... «je n’aime pas tous les écrivains de là-bas, leurs œuvres sont inégales. [...] Il y a, même dans la faiblesse, la maladresse, quelque chose comme une lueur, le reflet d’une réalité changée. [...] J’ai réuni ces textes pour me prouver que je ne suis pas seul. Que d’autres, voyant mon jeu, s’y allieront. Pour eux, j’abats mon jeu. Car je suis contre la diplomatie secrète ».

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 315 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, Aragon vous parle: De Stendhal et du vingtième siècle, [1959]; 4 pages in-4, avec ratures et corrections. Sur Stendhal. Article paru dans France Nouvelle, hebdomadaire du Parti communiste français, le 29 octobre 1959. Aragon célèbre le premier anniversaire de la revue Stendhal-Club, dirigée par «l’éminent Stendhalien» V. del Litto. Il rend compte d’un article de Tania Kotchekova, stendhalienne russe, à propos d’une lettre de Stendhal à Viazemski ...«Quel empire si la bourgeoisie répondait aux paysans! est l’expression d’une réalité politique admirablement vue par Stendhal: que la révolution démocratique pouvait se faire par l’union avec les paysans dépossédés de leur terre, et aboutirait à la création d’un état, d’un empire, inébranlable. On peut diversement rêver sur cette lucidité stendhalienne, valable pour son temps en Russie, et pour le nôtre où cet empire s’est fait dans des conditions nouvelles. On peut aussi, avec les transpositions nécessaires, imaginer, d’un point de vue national, dans la France de 1959, la leçon d’unité que donnerait aujourd’hui Stendhal à ce que nous appelons les gauches, si elles savaient “répondre” au peuple»... Aragon raconte l’histoire de cette stendhalienne de Riga, Tania Kotchetkova, avant de conclure: « Les jours stendhaliens ne sont point finis. Si j’écoutais mon cœur, je dirais qu’ils commencent. Ah, qui écrira notre siècle, et dans ces temps d’art abstrait dira ce que ne dit pas la froide histoire, retrouvera la vraie grandeur de ceux qui ne se sont pas prémunis pour la vie de la gloire, les héros des basses classes (je pense à la préface de L’Abbesse de Castro) qui passent dans ce monde, fugitifs comme la lumière et le vent?»

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 316 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, J’entrouvre pour vous le Musée Fernand Léger… Biot-sur-Rêve, [1959]; 4pages in-4. Très beau texte sur Fernand Léger et son Musée à Biot (1959). Après avoir évoqué la Côte d’Azur rôtie de soleil et envahie de «touristes au rabais», Aragon arrive à Biot qu’il avait quitté l’an dernier en chantier... «Cette année, à l’heure la plus torride, j’ai vu le miracle: le bâtiment étincelant, comme lavé de soleil, dans un bain de verdure, [...] proportionné à un paysage en largeur qu’il s’est approprié, dont il a fait son fond de décor, mais qui a précisément les proportions surprenantes de la chose rêvée, plus grande que nature». Comme celle de Barrès, la colline de Biot est «inspirée, elle a été repétrie par cette chose humaine que nous appelons l’âme, [...] pour qu’arrivant, le visiteur, le spectateur saisisse d’emblée et d’ensemble, le monument, le lieu, le chant paisible, l’hommage à celui dont c’est ici à jamais la demeure, [...] ce grand palais de l’esprit qui soufflera toujours, d’un esprit qui n’est pas le jouet de la mort, mais le triomphe de la vie, et qui s’offre au soleil, à l’ardeur des saisons, au grand vent de l’Histoire, comme le témoignage sublime, presque unique, de notre temps»... Aragon visite le musée, dont l’accrochage n’est pas encore achevé, la nuit, avec Elsa Triolet, Georges Bauquier, Nadia Léger, Jean Cocteau... c’est un conte de fées... «Notre camarade Fernand Léger, qui a sur ses toiles nationalisé les terres de Carabas, pour ceux dont il étudia les mains martyrisées par le travail, et qui avait comme une sculpture gigantesque imaginé un Jardin d’enfants, lequel est en pièces détachées sur l’herbe à Biot, à cette heure, et qui sera monté en Octobre, dans un coin du parc, du côté de la petite maison qu’il avait achetée avant de mourir, et qui disparaît dans les arbres». On joint la L.A.S. d’envoi à Maurice Kriegel-Valrimont (1p. in-4), donnant des indications pour les photographies destinées à illustrer l’article.

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 317 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, De Gérard Philipe, [1959]; 4 pages in-4 avec ratures et corrections. Très beau texte sur la mort de Gérard Philipe (25 novembre 1959). «Perdican est mort. Parce qu’on a pu lui passer l’habit du Cid pour enfin dormir, le Cid ne meurt pas, il vieillit... [...] Pourquoi de tous ces personnages insensés de courage ou de perversité, de grandeur ou d’amour, Gérard Philipe restera-t-il désormais pour moi Perdican? Peut-être que c’est parce que c’est la dernière image vivante, je veux dire au théâtre, et non cette ombre de l’écran, que je garde de lui. Ah, quel Perdican c’était! Intolérable comme la jeunesse»... Il regrette les rencontres manquées les mois derniers avec Gérard Philipe qui s’installait 17 rue de Tournon; son opération; la foule silencieuse devant la maison; le sinistre ballet autour de la chambre mortuaire... «Perdican ne pouvait vieillir. À trente-sept ans, l’âge où meurent Pouchkine, Apollinaire, Maïakovski, il a fermé les yeux avant d’être différent de lui-même [...] Gérard Philipe, derrière lui, ne laisse que l’image du printemps. Il faut savoir amèrement l’en envier. Les héros comme lui ne prennent jamais de rides [...]... Par le monde entier, cette mort frappe de stupeur tous ceux qui ont la tête pour les rêves et un cœur pour aimer. Par le monde entier, les jeunes gens se sentent ici atteints dans leur jeunesse [...] Les siens l’ont emporté dans le ciel des dernières vacances, à Ramatuelle, près de la mer, pour qu’il soit à jamais le songe du sable et du soleil, hors des brouillards, et qu’il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde. Et le passant, tant il fera beau sur sa tombe, dira: Non, Perdican n’est pas mort! Simplement il avait trop joué, il lui fallait se reposer d’un long sommeil».

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 318 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe, signé en tête, Aragon vous parle de lui-même, [1959]; 6pages in-4, avec quelques ratures et corrections. Très beau texte d’Aragon sur sa poésie (publié dans France Nouvelle, hebdomadaire du Parti communiste français, le 17 décembre 1959). « Comment parler de soi quand le monde retentit du bruit des tragédies... et la vie emportée par les eaux de Malpasset, Fréjus sous la pluie implacable, les corps dragués au large de Saint-Raphaël, et ces drames que traduisent les visages pour moi d’Anne Philipe, de Michèle Morgan [...] Justement, la tragédie, André Malraux, dont je n’aimais guère la désinvolture à juger Racine, en a fait son cheval de bataille dans les théâtres nationaux. Le lui reproche qui veut. Je n’ai guère le goût de polémiquer avec lui [...] Je ne saurais lui dénier le sens du tragique, et c’est son affaire sil s’associe à ce genre de comédie-bouffe qui fait des Ministres, de l’Instruction Publique ou de la Culture, des personnages de Flers et Caillavet»... C’est à propos d’une anthologie de ses poèmes qu’Aragon évoque «ces reflets oubliés, échelonnés le long de ma vie [...] Un poème, c’est daté comme un article [...] aussi comprendra-t-on que, me relisant, je voie, dans le miroir, par dessus mon épaule, un monde que les vers autant que moi-même me montrent, le journal du temps traversé, l’histoire des autres, qui est aussi mon histoire». Aragon s’attarde sur Feu de joie écrit en 1918 et qui «paraît en même temps que Mont de Piété d’André Breton, marqué de ce divorce volontaire avec le mallarmisme de sa première jeunesse (que je resterai peut-être le seul à aimer contre le poète lui-même), cette science extrême du vers traditionnel, pour se jeter au feu d’un modernisme qui n’est pas encore le surréalisme». Il évoque la genèse de la «conjuration particulière» du surréalisme autour de la revue Littérature, avec Soupault, Eluard, Tzara venu de Zurich «faire éclater ici la bombe Dada», l’adhésion au Parti Communiste en 1927, et les heurts avec ses amis «sur la conception même de la poésie»; et Aragon recopie alors un poème de Feu de joie, le Couplet de l’Amant d’Opéra, et s’interroge sur certains poèmes directement liés à l’histoire... «Nous n’aurons été que la circonstance, la trace d’un pas. Peut-être pourtant à qui retrouvera sous nos paroles la vie, derrière les mots le pouls de l’histoire, de notre passage, de notre futilité, sera-t-il possible de déduire et la route parcourue, et le chemin de cet Homme à qui l’on met une majuscule comme une feuille de vigne aux statues, le sens au moins de sa marche, de notre tragédie».

Estim. 1 000 - 1 500 EUR

Lot 319 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe, signé en tête, Aragon vous parle: De la difficulté qu’il y a décrire l’histoire, [1959]; 6 pages in-4 avec ratures et corrections. À propos de son livre en collaboration avec André Maurois, Histoire parallèle des États-Unis et de l’Union Soviétique de 1917 à 1960. Article publié dans France Nouvelle, hebdomadaire du Parti communiste français, le 24 décembre 1959. Il explique pourquoi il a accepté d’écrire ce livre avec Maurois... «Je ne suis pas un historien; ce que j’écrivais comme témoin ou comme romancier, je n’ai jamais songé à le donner comme relevant d’une science»; ainsi s’explique la note liminaire de La Semaine sainte, «qui dénie à ce roman le caractère historique [...] Et voilà que justement, commençant à lire les matériaux qui me permettront d’écrire ce livre dont je n’entends faire ni une compilation, ni un catéchisme, ni un roman, je me sens repris de ces scrupules [...] il est presque impossible décrire l’histoire, on ne fait que la re-écrire sur l’image d’Épinal qu’on en a. Avec de petites variations qui sont le talent de l’historien». Il faut arriver à «donner un air d’originalité et de profondeur aux idées reçues», tout en essayant de «conserver sa sérénité», car l’objectivité est impossible. Aragon montre les historiens divisés sur la Révolution, à propos de Danton et de Robespierre; combien plus difficile encore sera la tâche de l’historien de notre siècle: Aragon cite comme exemple le jugement porté par Léon Trotsky sur l’ambassadeur de France à Moscou en 1917, Maurice Paléologue. Et il faudra garder dans l’ouvrage cet aspect d’une histoire parallèle: les difficultés seront grandes...

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 321 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe, signé en tête, Aragon vous parle: De l’Armée, [1960]; 5pages et demie in-4 avec ratures et corrections. À propos de la guerre d’Algérie et du film sur l’escadrille Normandie-Niemen (article paru dans le n°750 de France Nouvelle, hebdomadaire du Parti communiste français). «C’est un grand malheur dans une nation quand le peuple se détache de son armée, quand l’armée n’est plus qu’un instrument du petit nombre contre le peuple, quand le nom de la patrie n’a plus le même sens pour ceux qui ont charge de la patrie et ceux qui en sont la chair et le sang». Aragon retrace brièvement l’histoire de l’armée française depuis les guerres royales jusqu’à «l’épreuve de l’occupation et la résurrection de la Résistance». Mais il est inquiet de voir, avec la guerre d’Algérie, «l’armée pervertie, aux mains des colonels, devenue un instrument contre la nation, et contre le pouvoir même qu’elle avait semblé d’abord appeler». Aragon réfléchit à ce que doit être l’armée, à propos du film Normandie-Niémen «qui touche à la fois aux questions de la grandeur et de la servitude militaires, et à ce qui fonde une alliance à laquelle nous sommes nombreux en France pour croire que sans elle il n’y a ni sécurité de nos frontières, ni d’assurance pour la paix du monde». Il s’insurge contre l’éloge de «l’obéissance sourde et aveugle dans l’armée», qui est une «attitude de vichyste»; à Alger en janvier (semaine des barricades), «le patriotisme aurait certainement été la désobéissance [...]. L’intérêt national est dans l’amalgame de la nation et de larmée»...

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 322 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe, signé en tête, Aragon vous parle: d’un voyage en France, [1960]; 6 pages in-4 avec ratures et corrections. Évocation de la France et de son histoire à propos du voyage de Khrouchtchev (mars 1960). Aragon parle de tout ce qu’il aurait aimé montrer à Khrouchtchev... «On ne connait pas un pays par ses seuls paysages, ni par le seul spectacle de son énergie industrielle par exemple. Surtout un pays comme le nôtre. La France est le résultat assez singulier, à cette pointe de l’Europe, de forces contradictoires, de luttes séculaires, de grands malheurs et de grands rêves. Elle offre sur un territoire limité plus de contrastes peut-être, plus de diversité qu’aucun autre pays au monde [...], le paysage change à chaque tournant de route». Aragon projette ainsi d’abord quelques promenades dans Paris, le Paris de l’histoire et le Paris des peintres... Puis le pont du Gard, Avignon, la Normandie, Dijon, Reims, Bordeaux, Lyon, Roncevaux, Nice, Lille; la France des maquisards... C’est l’image pleine d’histoire et d’émotions de cette France qu’Aragon voudrait donner à Khrouchtchev, «pour qu’ayant senti où bat le cœur profond de notre pays, ayant touché ses plaies [...], il s’en revienne parmi les siens avec le sentiment de ce qui est notre humanité, et la certitude qu’une telle nation, tant de fois déchirée, au sol tant de fois envahi, ne peut que désirer la paix, au delà de tous les marchandages, des jeux d’alliance, une paix faite pour tout l’avenir, la jeunesse, les amoureux et les chansons».

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 323 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe, signé en tête, Aragon vous parle: D’un manque à gagner, [1960]; 4pages in-4, et 1page et quart. dactyl. (pag. 3-4), avec ratures et corrections. Article pour France Nouvelle, hebdomadaire du Parti communiste français, paru le 6 avril 1960. Aragon parle d’abord de l’accueil réservé au Président Khrouchtchev lors de son voyage en France. Il signale la parution des Désarrois de l’élève Törless de Robert Musil, «cet écrivain autrichien lequel sera peut-être un jour tenu pour l’un des plus grands romanciers du vingtième siècle», qui évoque «la jeunesse typique de ceux qui devaient devenir les maîtres pervers de l’Europe. Et par là, il nous fait penser à cette Naissance d’un chef, de Jean-Paul Sartre, qui, publiée à la veille de 1939, demeure, au delà des critiques, un des plus saisissants reflets de notre temps». Il ne parlera pas «d’un film qui révèle un talent nouveau, presque incomparable, [...] À bout de souffle, de Jean-Luc Godard: parce que cela m’ennuie d’avoir à dire que le monde ne tourne pas autour d’un jeune assassin et d’une fille qui le donne à la police; et que c’est pourtant ainsi, même si ce printemps noir demeure tout de même le printemps». Mais Aragon consacre l’essentiel de son article au roman de Galina Nicolaeva, L’Ingénieur Bakhirev, que tout communiste devrait lire, «parce que peut-être pour la première fois y est montré, non pas seulement le mal, ses origines, ses remèdes, qu’a désigné le XXe Congrès, mais d’une façon plus générale le mécanisme par lequel l’action d’un parti communiste peut être pervertie, détournée de ses fins». Il faut le lire «quand la correction radicale, audacieuse, comme le fer rouge, des erreurs des crimes qui avaient pu se multiplier sous le drapeau du socialisme, constitue précisément aujourd’hui la caractéristique de la victoire du socialisme»...

Estim. 600 - 800 EUR

Lot 325 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe, signé en tête, Aragon vous parle: du genre bouffe, [1960]; 4pages et demie in-4 avec ratures et corrections. Article contre les États-Unis d’Amérique, paru en mai 1960 dans le n°760 de France Nouvelle, hebdomadaire du Parti communiste français. «Il m’est arrivé souvent de penser à Shakespeare devant le spectacle qui nous est donné dans les grandes assemblées internationales, à l’ancienne Société des Nations naguère, et aujourd’hui aux Nations Unies: comme dans les pièces historiques du grand dramaturge anglais, on y voit les héraults d’armes des nations s’avancer sur le devant de la scène, et dire les pires choses de leurs adversaires. Après quoi, aux temps shakespeariens, commençaient les guerres ou se faisait un mariage entre princes et princesses du sang des deux parties. Mais ces jours-ci, bien qu’il s’agisse encore du tragique des peuples, et cela quand les puissants en présence ont entre les mains les armes de l’anéantissement de l’humanité, il semble qu’une nouvelle école veuille faire prédominer sur ce théâtre particulier l’esthétique et les moyens non plus du drame shakespearien, mais de la pantalonnade italienne ». Aragon se moque alors de Cabot Lodge et de ses déclarations au Conseil de Sécurité sur l’espionnage soviétique; selon Aragon, ce n’est qu’une réaction embarrassée et ridicule après l’incident de l’U-2 abattu par l’URSS et qui démontre l’espionnage américain au-dessus de l’Union Soviétique...

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 326 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, Note in vita di Madonna Elsa, [1960]; 3pages in-4, avec quelques ratures et corrections. Beau texte où Aragon parle de sa poésie et reconnaît la paternité de sa traduction des Cinq Sonnets de Pétrarque (1947, avec une eau-forte de Picasso). Ce texte a été publié en tête de l’anthologie de Poésies d’Aragon présentée par Jean Dutourd (Club du Meilleur Livre, 1960). «Les “Cinq sonnets de Pétrarque avec une eau-forte de Picasso et les explications du traducteur” ne portent d’autre référence que le nom d’un éditeur imaginaire à la Fontaine de Vaucluse, et d’une date mcmxlvii. C’est ici pour la première fois que ce livre est avoué mien, il n’a jamais figuré, jusqu’à présent, dans la liste de mes œuvres»... Le mythe de Pétrarque et de sa muse Laure a toujours eu pour Aragon une importance toute particulière, Laure devenant souvent une figure d’Elsa, à moins que ce ne soit l’inverse: «Je renverrai les curieux au Cantique à Elsa et à cette part de mon Henri Matisse, encore non publié […]. Aussi à ce poème par quoi se termine Le Roman inachevé (Prose du bonheur et d’Elsa) auquel je suis particulièrement attaché. […] Je voudrais dire ici que tout ce que je suis, tout ce que j’ai été, mon cœur, ma vie, mes rêves, s’inscrit en faux contre une conception de la poésie qui fait de l’art lyrique de l’amour une activité mineure. Cet art-là est pour moi le plus haut achèvement de l’homme, sa justification d’être»… Etc. Et il conclut: «Et s’il reste de moi quelque chose, ce sera, je le jure, pour avoir écrit tout ce que j’ai écrit in vita di Madonna Elsa».

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 327 - Louis ARAGON (1897-1982). Manuscrit autographe signé, Prendre son rêve où on le trouve, ou Les ennemis, [1962]; 20pages in-4, avec ratures et corrections. Long article sur le philosophe Nicolas Berdiaev (1874-1948), publié dans Les Lettres françaises (no 956) du 14 décembre 1962, à propos de l’ouvrage de Lucienne Julien-Cain, Berdiaev en Russie, précédé de La Russie est sortie des ombres (Gallimard, 1962). «On m’aurait dit, il y a quelques années, que j’aurais lu avec une sorte de passion un livre consacré au philosophe russe mystique que fut Nicolas Alexandrovitch Berdiaev, j’entends d’ici ce que j’aurais répondu. Ce qui prouve qu’on se connaît mal». Le livre de Lucienne Julien-Cain a paru alors qu’Aragon achevait son Histoire parallèle après «trois années d’un travail ingrat et acharné. Peut-être est-ce ce que j’ai appris, l’écrivant, qui me rend autrement ouvert à certaines considérations si incompatibles qu’elles paraissent avec les idées qu’on me sait, pour ce que du moins elles se trouvent nécessairement à mes yeux s’inscrire dans un cadre dont je ne puis me détacher, cette Russie d’avant et d’après 1917, à la lumière de quoi le détail Berdiaev prend valeur différente, caractère de commentaire, devient élément de comparaison, joue le rôle de trébuchet»… Il faut lire ce livre «comme un roman philosophique: le roman d’un esprit et d’une époque»… Aragon retrace à grandes lignes la destinée de Berdiaev, avant de raconter ce qui arriva au philosophe pendant les premières années de la Révolution, et notamment avec Dzerjinski… Suit une réflexion sur le rétablissement des normes léninistes, y compris dans la vie culturelle soviétique… «Ne pas craindre la vérité, y trouver au contraire son orgueil, m’ont toujours paru les lettres de noblesse des écrivains qui se réclament de la transformation du monde par l’homme. Que soient aujourd’hui en train d’être battus, et cela ne sera peut-être pas si simple que tout ça, ceux qui prétendent encore nécessaires des interdits, lesquels ont surtout servi à masquer une dénaturation du socialisme, cela, je ne puis que l’accueillir comme un grand espoir, non seulement de littérature, mais de l’humanité. […] Je suis de ceux qui affirment le lien nécessaire entre la création artistique et la politique»…

Estim. 1 000 - 1 500 EUR

Lot 331 - Antonin ARTAUD (1896-1948). L.A.S., Paris 8 janvier 1932, au poète Nicolas Beauduin; 4pages in-8, enveloppe. Artaud remercie Beauduin de son livre [Pascase, la Fille au singe et les Trois Compagnons, mystère, 1924]... «je vous connais maintenant depuis près de vingt ans. Je venais de quitter le collège quand j’ai lu pour la première fois votre nom au bas de pièces de vers mystérieuses [...] il m’est arrivé à l’esprit un accident des plus graves: sans devenir fou j’ai sombré et ai traîné ma vie pendant des années de maison de santé en maisons de santé. À dater du jour où je me suis en partie, en partie seulement hélas, retrouvé le passé a été oublié et ce m’est une chose presque miraculeuse et en tout cas extrêmement significative que vous ayiez été à ma conférence»... Parlant du livre de Beauduin, Artaud en aime «le tintamarre constant et menaçant, cette sorte de musique étranglée qui se fait jour par les jointures de ce qu’on n’ose plus appeler des âmes. J’aime surtout les hauts problèmes qui s’y agitent [...] Si le théâtre avait su conserver de façon concrète la musique de ces hautes régions il ne serait pas réduit à déverser sur la scène les eaux sales de l’on ne sait quel affreux repas sexuel. En tout cas à part son attitude tendue et orgueilleusement transcendante, à part son effervescence fiévreuse et sa couleur, il y a une idée de simultanéisme au théâtre qui n’a en somme jamais été employée et qui est précieuse»...

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 332 - Antonin ARTAUD (1896-1948). Manuscrit autographe, Autour d’une Mère, [1935]; 6pages sur 3 feuillets in-4. Sur le théâtre. Brouillon de l’article publié dans la Nouvelle Revue Française du 1er juillet 1935, texte recueilli dans Le Théâtre et son double (Gallimard, 1938). Il est consacré au spectacle de Jean-Louis Barrault, Autour d’une mère, adapté du roman de Faulkner, Tandis que j’agonise, au théâtre Montmartre (4 juin 1935). Brouillon de premier jet, avec des ratures, corrections et additions, présentant d’importantes variantes avec le texte publié. «Le spectacle de Jean-Louis Barrault sort les symboles; et c’est ainsi que son action pour violente qu’elle soit, et active, demeure en somme sans prolongements. Et elle est sans prolongements parce qu’elle est seulement descriptive parce qu’elle raconte des faits extérieurs où les âmes n’ont pas de part, parce qu’elle ne touche pas au vif les pensées et les âmes, et c’est là beaucoup plus que dans la question de savoir si cette réalisation est ou non vraiment théâtrale que réside le reproche que je lui fais. Du théâtre elle a tous les moyens, car le théâtre qui ouvre un champ physique demande qu’on remplisse ce champ, qu’on en meuble l’espace avec des gestes […] Je n’ignore pas que le théâtre Balinais […] est encore un théâtre profane, mais on sait que chez les peuples authentiques le profane est encore religieux. Et il faut être reconnaissant à Jean-L. Barrault d’avoir su ramener un peu du vieil esprit religieux […] Il y a dans le spectacle de J.L. Barrault une sorte de merveilleux homme centaure; et notre émotion a été grande devant ce spectacle»… Etc.

Estim. 1 000 - 1 500 EUR

Lot 333 - Antonin ARTAUD (1896-1948). 2 manuscrits autographes; 8 et 6pages in-fol. sur 7 feuillets (déchirés puis recollés au papier gommé); transcription jointe. Réflexions sur le théâtre balinais, brouillons de travail, en partie biffés, pour Le Théâtre et son double (Gallimard, 1938). «Théâtre de mise en scène pure. Idée du mystique, du religieux. Les hommes réduits à l’état de schémas. Leurs gestes tombent réellement et précis sur cette musique de bois, de caisson. Ils font penser à ces automates faits de bois creux. […] Rien qui donne plus l’idée du dépouillé, du pur, de l’essence. Tout est de nécessité absolue, métaphysique […] Mimique de gestes spirituels qui scandent, élaguent, fixent, arrêtent, écartent et subdivisent des sentiments, des états d’âme, des points métaphysiques […] Ce théâtre qui rend grossier notre théâtre où les sentiments ont besoin d’être nommés, directement vécus et joués, des sentiments qui ne soient pas des schèmes de sentiments, des linéaments abstraits d’idées […] Ce théâtre d’autre part est le triomphe de la mise en scène pure car pour nous à qui cette langue est fermée, et où les gestes, les intonations, les cris, les modulations, les attitudes n’agissent plus que dans leur quintessence, il est certain que ce qui agit sur nous, ce n’est pas la chose dite mais la façon dont on nous la dit»… Etc. «[…] Théâtre n’aurait que faire, là où les subdivisions intellectuelles d’un thème sont réduites à rien et où cet espace d’air, intellectuel, ce jeu psychique qui existe ordinairement entre les membres d’une phrase, ici est tracé dans l’air scénique entre les membres, l’air et les perspectives d’un certain nombre de cris, de couleurs et de mouvements. Ici le metteur en scène travaillant avec des moyens de metteur en scène supplée l’auteur dans toutes les parties où dans notre langue occidentale on croit devoir distinguer un certain contenu psychique d’avec son incarnation matérielle, ou si l’on préfère la conception de la réalisation. Mais dans les réalisations du théâtre Balinais l’esprit a bien le sentiment que la conception s’est d’abord heurtée à des gestes, a pris pied au milieu de toute une fermentation d’images visuelles ou sonores, pensées comme à l’état pur»… Etc. Ancienne collection Anie Besnard. Œuvres complètes, tome IV, p.235 et 231.

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 335 - Antonin ARTAUD (1896-1948). L.A.S., Rodez 20 septembre 1943, au Président Pierre Laval; 6pages in-4. Extraordinaire lettre où Artaud raconte son voyage en Irlande et son internement. [La lettre n’a pas été envoyée; elle fut interceptée par le Dr Gaston Ferdière.] Artaud veut rappeler au Président Laval «le souvenir de notre ancienne amitié [...] les sept ans qui ont précédé mon départ en Irlande qui a été le véritable début de mes épreuves ici-bas. Vous êtes venu me voir pour la première fois en voiture avec José Laval, au printemps de 1930, 178 quai d’Auteuil à Paris où j’habitais avec ma mère et vous êtes revenu à une représentation des Cenci au mois de mai 1935»; et Laval avait invité Artaud à dîner en 1930... «vous savez que dans toutes les circonstances publiques graves où vous avez eu à faire appel à moi je me suis toujours appliqué à vous porter mon aide dans toute la mesure de mes possibilités et de mes moyens»... Artaud parle de la Prophétie de Saint Patrick, et rappelle à Laval qu’ils s’étaient trouvés d’accord «sur un certain nombre de points sacrés éminents de la Religion chrétienne [...] Vous savez que, depuis, la Canne de Saint Patrick qui avait été volée en Irlande à la fin du siècle dernier, est venue entre mes mains, et vous connaissez tous les efforts que j’ai faits pour la faire revenir à Dublin à ses légitimes possesseurs. Je ne sais pas pourquoi les Polices Françaises et Anglaises se sont émues de cette action de restitution qui ne concerne que de bien loin les choses humaines et où je ne me suis jamais écarté du principe qui veut que soit rendu à Cesar ce qui est à Cesar et à Dieu ce qui est à Dieu». Il a vu au Musée de Dublin «l’Émeraude Mystique fameuse dénommée “Le Saint Graal” [...] je suis revenu à Dublin à la pratique de la Religion Catholique [...] c’est à ce moment là (septembre 1937) que mes épreuves ont commencé. J’ai été déporté d’Irlande comme indésirable après avoir passé six jours à la Prison de Dublin comme indigent [...] sur le bateau au retour des Agents de la Sureté Nationale ont cherché à se debarasser de moi [...] j’ai été interné à mon arrivée en France [...] voilà six ans que mon internement dure. – Et vraiment je ne crois pas avoir jamais été affecté par l’ombre d’un dérangement cérébral. Mais voilà six ans que je souffre de la privation de la liberté. J’ai passé par Rouen, cinq mois, Sainte Anne une année et Ville Evrard trois ans et demi. Je me trouve maintenant à l’Asile de Rodez Hôpital Psychiatrique [...] où un ami qui le dirige le Docteur Ferdières, qui m’avait connu à Paris au temps où je faisais de la littérature, et qui est l’ami de certains de mes amis des Lettres entre autres Robert Desnos, m’a fait réclamer. [...] je suis dans un milieu d’amis; mais je suis toujours interné. Les circonstances bien sûr sont difficiles, pour tout le monde, en ce moment — et vous êtes harcelé de soucis; mais sans doute considérerez vous que cet internement n’est pas juste, et que je pourrai être beaucoup plus utile à ce pays, dehors, et libre, que dans un Asile d’Aliénés. Ces six ans d’internement ont achevé de me détacher et de m’éloigner du monde et je n’ai plus l’intention que de finir mes jours dans la prière et dans un cloître, à moins que vous ne jugiez bon de faire appel à moi»... Nouveaux écrits de Rodez (Gallimard, 1977), p.125.

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 336 - Antonin ARTAUD (1896-1948). L.A.S., Rodez 15 octobre 1943, à Pierre Laval, Président du Conseil, à Vichy; 4pages in-4. Extraordinaire lettre où Artaud dénonce la secte des Initiés. [La lettre n’a pas été envoyée; elle fut interceptée par le Dr Gaston Ferdière.] «Mon très cher ami Si débordé de préoccupations et de travaux que vous soyiez en ce moment, vous ne pouvez pas ne pas vous souvenir de l’amitié qui nous a unis de 1930 à 1937 où en août de cette dernière année je suis allé rapporter la Canne de Saint Patrick aux Irlandais. Cette amitié était toute basée sur des raisons extra-littéraires». Avant de partir pour l’Irlande, il lui avait envoyé son livre Les Nouvelles Révélations de l’Être. «Et vous savez ce qui m’est arrivé en Irlande et qu’après avoir montré la Canne de Saint Patrick aux Irlandais qui l’ont tous reconnue comme telle; et l’avoir laissée entre des mains Irlandaises j’ai été arrêté d’ordre de la police anglaise et déporté en France sous prétexte que je me trouvais sans argent»... Artaud dénonce alors «un groupe d’Initiés dirigé par Grillot de Givry» qui l’a fait interner; et en 1939, «sous l’impulsion d’une enquête menée en ma faveur par Louis Jouvet, Charles Bayard, Jean Giraudoux, Bernard Zimmer et avec l’appui du 2e Bureau, un non lieu allait être rendu à mon sujet après 2 ans d’internement», lorsque Grillot de Givry «paya» le Dr. Menuau, médecin-chef de Ville-Evrard, pour «rédiger un rapport médical tendancieux et mensonger contre moi»... Or cette secte s’est reconstituée; «elle est pour beaucoup dans nos malheurs. Elle n’est ni pour la France, ni pour l’Allemagne, ni pour l’Angleterre, ni pour aucun pays car ses visées sont celles de l’égoïsme individualiste le plus pur mais elle est aussi bien dans la Gestapô que dans la Police anglaise, quoique ce soit surtout les visées de l’Angleterre qu’elle serve actuellement, et qu’elle ne soit dans la Gestapô que pour y introduire et y maintenir cette influence paralysante qui est l’arme principale des Initiés». Cette secte est en rapport avec des Initiés Hindous qui doivent bientôt arriver en France et «opérer leur jonction avec des agents de la police anglaise qui sont tous des Initiés». Artaud avertit que ceci n’est pas «une histoire de délirant» et que «l’oubli du transcendant et de l’occulte est l’un des moyens de défense et le mot d’ordre le plus généreusement appliqué dans toutes les sectes d’Initiés. Or toutes les sectes d’Initiés sont mauvaises, et animées du plus mauvais esprit, car ceux qui sont du côté de Dieu, Pierre Laval, ne peuvent plus à l’heure qu’il est se regarder comme des Initiés, n’étant plus que des Revenants du Ciel dont ils se souviennent directement. L’Angleterre, Pierre Laval, est un peuple de lâches [...] si les Anglais montent encore en Avion c’est qu’ils ont dans la plupart des cas l’impression qu’ils pourront frapper sans être frappés eux-mêmes». Selon Artaud, la construction des avions de la Royal Air Force est faite d’après un brevet secret, «un principe tout à fait nouveau et singulier et qui indique de la part de son inventeur un génie d’un ordre inaccoutumé: [graffitis et signes cabalistiques] Mais qui repose sur des choses très connues dans les milieux d’Initiés. Il se peut que ce schéma-ci ressemble à certains dessins de fous, mais il est très facile de trouver des ressemblances entre tels dessins occultes et certains dessins de déments»... Nouveaux écrits de Rodez (Gallimard, 1977), p.128.

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 337 - Antonin ARTAUD (1896-1948). L.A.S., Rodez 15 Mars 1944, [à Mme Adrienne Régis, surveillante-chef de l’Asile de Rodez]; 10pages in-4 à l’encre violette. Très longue et intéressante lettre de Rodez, méditation sur l’amour et le sexe, le Mal et Dieu. Il craint de l’importuner… «Je sais que vous me comprenez profondément et que vous souffrez; et par l’esprit vous vivez dans le même monde que moi mais votre corps ne vous suit pas toujours là où vont votre cœur et votre esprit. Et parfois il les précède et les entraîne là où ils n’auraient jamais voulu aller. Et malheureusement dans ce monde-ci nous sommes beaucoup plus corps qu’esprits. Moi aussi j’ai un corps mais à force de souffrir je me suis appris à le conduire et à ne pas me laisser dominer par lui, jamais à aucun instant. Car le corps que nous habitons est mauvais»... Artaud refuse de voir dans «l’instinct sexuel l’origine de nos sentiments et de nos émotions [...] Pour moi l’amour vient du cœur et il remonte vers le cœur et il n’a rien à voir avec l’abdomen qui en est la perte et la mort. Qui aime sexuellement se condamne à ne plus aimer un jour». Le sexe est «un mystère et un secret», «l’essence d’une abomination sacrilège qui remonte aux origines de notre humanité [...] c’est de l’amour perdu que nous souffrons». Par la chute d’Adam, selon Artaud, tout ce qui en nous «était cœur et la force aimante du cœur a été retourné magiquement et rejeté vers l’attraction du sexe de sorte que nous ne pouvons plus avoir dans le cœur un sentiment si beau qu’il soit qu’il ne soit d’abord axé sur le sexe, et que cet instrument de laideur et d’inutilité physique ne réagisse organiquement devant nos plus sublimes sentiments moraux». La libido sexuelle a été «créée par les démons». Le corps de l’homme était pur, «mais il a été détruit et saccagé par le mal et les démons [...] afin d’insulter à l’œuvre et à la pensée de Dieu». Ainsi Dieu a disparu du monde, «Dieu Vierge a été assassiné [...] Avec tout ce qui lui restait d’âme Dieu est parvenu à susciter quand même une âme et à l’introduire dans ce corps-là afin d’inviter avec le temps l’homme à se détacher de ce corps-là»… Mais âme et corps sont mêlés et soumis à «une action d’envoûtement fluidique [...] De sorte que pour rester dans le chemin de Dieu celui qui aujourd’hui veut penser, sentir, aimer doit s’abstraire ce faisant de son corps. Et c’est une opération psychologique terrible que de vivre dans cet effort constant. Il y faut une énergie et une volonté de toutes les minutes». Et le principal obstacle est la sexualité, «cette pierre d’achoppement horrible»... Artaud, lui, a depuis longtemps «passé ce cap d’enfer» et «compris l’insidieuse malice que le mal met à nous empêcher d’aimer en rejetant nos pensées passionnelles vers le gouffre de la sexualité». La fin de la lettre est une superbe méditation sur l’Amour parfait... «l’Amour Parfait ne peut se rencontrer que dans les cœurs qui ont renoncé aux joies terrestres parce qu’ils les trouvent trop viles et trop mesquines pour eux, il exige pour s’accomplir la venue sur terre d’un Régime qui est l’apanage exclusif de Dieu. Quand on a connu une fois l’Amour Divin on ne veut plus en avoir d’autre car il est le seul qui soit à la mesure des exigences d’absolu du cœur. Car l’Amour est une chose qui par essence a besoin de renouvellement et les gestes du corps sont mesurés sur terre mais ceux du Cœur-fournaise qui brûle aux cieux ne le sont pas. Or les cieux sont au fond de nos têtes et dans le dos physique de notre cœur. Il y a un point là où pensent nos têtes, il y a un point là où le cœur émet sa force passionnelle d’aimer que le mal n’a jamais entaché mais qui se dissout organiquement en ce monde dans le trajet de la conception d’aimer. À nous donc qui vivons à veiller à ce que l’Amour dans le ciel de nous-mêmes ne soit pas en sortant décomposé. Car l’homme n’est un jour tombé que parce qu’il y avait sous terre trop de cadavres et c’est avec leur relent qu’a été perpétré le crime de sexualité. La force d’amour qui vient de Dieu ne peut pas vivre dans ce monde sans le sacrifice intégral du corps et l’oubli de ce corps de mort. Nous ne sommes pas des corps mais des âmes et nos âmes sont infectées par nos corps. C’est ce que les hommes ne cessent pas d’oublier car le Mal général les entraîne. Moi je ne cherche plus qu’une âme qui puisse ne pas oublier le Mal, car je ne suis pas de la terre mais du ciel, et je suis tel que maintenant je ne peux plus oublier le ciel». Nouveaux écrits de Rodez (Gallimard, 1977), p.132.

Estim. 2 000 - 2 500 EUR

Lot 340 - André BRETON (1896-1966). Manuscrit autographe, 1ère Conférence à Mexico, mai 1938; 5pages in-4 à l’encre verte. Manuscrit inédit de la première conférence de Mexico. [Breton a séjourné au Mexique du 18 avril au 1er août 1938, pour prononcer une série de conférences sur la littérature et l’art du temps. La première conférence, donnée le 13 mai à l’Université de Mexico, est restée inédite; un compte rendu parut dans le journal La Prensa du 15 mai sous le titre «Las Transformaciones modernas del Arte y el Surrealismo». Voir Œuvres complètes (Pléiade), t.II, p.1829.] Le manuscrit, à l’encre verte, présente de nombreuses ratures et corrections. «Tous les chemins que j’ai vu suivre à l’esprit moderne depuis vingt ans mènent au Mexique. C’est ici le point de convergence de toutes les grandes routes d’aventure dans lesquelles se trouve engagé cet esprit inlassablement à la recherche des moyens par lesquels le monde peut être transformé, par lesquels la vie peut être changée. Pour beaucoup d’entre nous, poètes et artistes européens, le mot même de Mexique s’est empreint, au cœur de l’enfance, d’une vertu magique»… Et Breton évoque notamment Arthur Rimbaud, marqué par la lecture de Costal l’Indien, en citant plusieurs de ses vers; puis c’est le douanier Rousseau, célébré par Apollinaire… Il insiste ensuite sur la présence du «passé mythologique» dans la culture populaire mexicaine… Le Mexique est aussi «un merveilleux creuset social duquel ont jailli, durant ces vingt dernières années, les plus grande étincelles dans le sens du progrès»… Breton voit enfin le Mexique non seulement «comme la terre d’élection de l’humour noir», mais aussi «un réservoir inépuisable d’énergie romantique, de ce romantisme dont on commence seulement à comprendre qu’il a bouleversé de fond en comble toute la vie psychique en nous faisant éprouver non seulement la fécondité de l’imagination mythique […] Aujourd’hui encore, c’est autour du romantisme que nous nous battons, le mot n’est pas trop fort», et notamment le romantisme allemand, si menacé en Allemagne… Etc. Ancienne collection Jacques Millot (Bibliothèque du Professeur Millot, 15 juin 1991, n°18).

Estim. 2 500 - 3 000 EUR

Lot 341 - André BRETON (1896-1966). L.A.S., Loupiac 1er juillet 1940, [à Maud Bonneaud]; 2pages et demie in-8 à l’encre verte. Après l’armistice (22 juin 1940), alors que Breton était «médecin-chef de l’École de pilotage 31» à Loupiac de la Réole (Gironde), ainsi qu’il l’écrit au bas de la lettre. «On a été dispensés de la Kasbah et casés tant bien que mal dans les séchoirs à tabac»... Breton n’a plus de nouvelles de sa femme Jacqueline depuis quinze jours. ... «ma foi, je crois qu’une époque assez intéressante pourrait commencer, à condition toutefois de pouvoir la vivre. Il pourrait s’agir de l’enfance monstre de quelque chose, ou bien n’est-ce encore qu’un grossier déguisement. Le côté “douloureuse stupéfaction”, “stupeur attristée” bien rendu dans les derniers communiqués antagonistes anglais-français reste absolument prédominant. Voilà pour l’état de conscience qui se manifeste ici sans la moindre discrétion. Tout doucement ces messieurs retournent d’ailleurs leur veste de couleur kaki. On recommande aux hommes d’être “polis” avec les troupes d’occupation. Polis “sans obséquiosité” ajoute-t-on même assez psychologiquement». Il ne sait où aller «en cas de démobilisation [...] Le climat de Paris avec M. Chiappe me paraît pour moi des moins salubres». Il dit à sa correspondante qu’il en garde un «grand souvenir [...] vous êtes très mêlée à ce filet de vie encore cristalline qui est tout ce qui nous reste, tant que nous ne sommes pas mieux fixés sur ce qui nous attend»...

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 342 - André BRETON (1896-1966). Manuscrit autographe signé, Autodidactes dits “naïfs”, New York 1941-1942; 3pages in-4. Intéressant texte de critique d’art sur les Naïfs, dans sa version primitive, en partie inédite. Ce manuscrit, abondamment raturé et corrigé, se présente en trois parties, dont la dernière seule a été recueillie dans Le Surréalisme et la Peinture (New York, Brentano’s, 1945). Les deux premiers feuillets se rattachent au livre de Sidney Janis, They taught themselves (New York, 1942), et à sa collection de peintres primitifs autodidactes américains. Le premier texte, qui porte le titre au stylo rouge, commence ainsi: «Au XXème siècle la conscience artistique vivante, évoluant de pair avec le besoin de connaissance, connaît quatre principaux pôles d’attraction, subit l’influence de quatre modes d’expression singuliers: – 1° la sculpture des peuples primitifs (l’Afrique cédant peu à peu la prééminence à l’Océanie et à l’ancienne Amérique), – 2° les dessins d’enfants de moins de dix ans, – 3° les dessins et peintures de médiums en transe, – 4° la production artistique des aliénés (schizophrènes essentiellement)»… Il y a aussi les peintres autodidactes, «purs de toutes les souillures de l’enseignement artistique», qui sont «une source de fraîcheur et de franchise», et dans l’émotion que ressent Breton, il retrouve le «fil magnétique» qui traverse les toiles du Douanier Rousseau, le «Palais idéal» du Facteur Cheval et les créations de Hirschfield…. Le second feuillet porte le titre They taught themselves, et est daté «New York 14 septembre 1941». C’est une seconde version du texte précédent; traduit en anglais, ce texte a servi de présentation de l’exposition de la collection de Sidney Janis et a été repris sur la jaquette du livre de Janis; la version française est inédite (une traduction de l’anglais est publiée dans les Œuvres complètes, t.IV, p.1186). Breton conclut: «C’est, à ma connaissance, la première fois qu’un don exceptionnel d’observation et de déduction, de caractère tout scientifique, s’allie à un admirable sens de la qualité tant artistique que poétique. Celui-ci n’a cessé de s’exprimer par ailleurs dans le choix infaillible qui préside à la réunion des toiles de sa collection, toutes de celles qui intellectuellement ont fait événement ou marquent une étape importante à quelque égard dans la direction du mystère et du feu». Le dernier feuillet, intitulé Préface, signé et daté en fin «New York 19 janvier 1942», donne, avec d’importantes ratures et corrections, le texte recueilli dans Le Surréalisme et la Peinture. Breton y évoque le Douanier Rousseau, qu’il rapproche de Georges Courteline et d’Alfred Jarry: «Rousseau a le pouvoir insigne, sinon de faner presque toute la peinture derrière lui, tout au moins de faire apparaître comme dérisoires les moyens artistiques qui s’enseignent et dont la codification tend à instaurer une perfection toute formelle sur les ruines de l’inspiration». Il termine en saluant le travail de Sidney Janis, «qui prête aux peintres américains autodidactes son appui fervent, a le privilège de vivre dans l’intimité du chef-d’œuvre qui, à leur insu même, commande la ligne de leur production: je veux parler du Rêve de Rousseau. […] Comme naguère la Vierge de Cimabue à travers Rome, il siéra peut-être un jour, parmi les œuvres qui relèvent de la même sincérité et de la même clairvoyance, de la promener processionnellement dans les rues». Ancienne collection Jacques Millot (Bibliothèque du Professeur Millot, 15 juin 1991, n°28, 1°).

Estim. 1 500 - 1 800 EUR

Lot 343 - André BRETON (1896-1966). Manuscrit autographe, André Breton, 17 novembre 1944; 2pages in-4. Notice autobiographique. Le manuscrit est surchargé de ratures et corrections. Après avoir mentionné sa naissance à Tinchebray en 1896, et ses études de médecine: «À l’âge de 17 ans, subit fortement l’attrait de Paul Valéry», avec qui il entretient «des relations très suivies». C’est ensuite la mobilisation et son affectation dans des centres neuro-psychiatriques, sa découverte de Freud qu’il va rencontrer à Vienne; sa «longue fréquentation de Guillaume Apollinaire, selon lui le plus grand poète de ce siècle», et sa «rencontre capitale» avec Jacques Vaché, la publication de son premier recueil Mont de Piété, la fondation de la revue Littérature avec Soupault et Aragon, le mouvement Dada, l’écriture avec Soupault des Champs magnétiques, «le premier ouvrage proprement surréaliste», la rupture avec Dada, la fondation et l’essor du surréalisme: «Si une partie de cette œuvre est tournée vers le social, une autre tend à la résolution de conflits de l’ordre psychologique le plus général: opposition de la folie et de la raison, du rêve et de l’action, de la représentation mentale et de la perception physique»… Il commente brièvement ses ouvrages, depuis le Manifeste du surréalisme jusqu’à Arcane 17; et il mentionne ses «fonctions de speaker à “La Voix de l’Amérique”», la fondation de la revue VVV, etc. Ancienne collection Jacques Millot (Bibliothèque du Professeur Millot, 15 juin 1991, n°21).

Estim. 1 500 - 1 800 EUR

Lot 344 - André BRETON (1896-1966). Manuscrit autographe signé, L’Art des fous, la clé des champs, [1948]; 2pages in-4, avec ratures et corrections. Intéressant texte sur l’art brut et les fous. Publié dans Les Cahiers de la Pléiade (n° 6, automne 1948-hiver 1949), avec un dossier consacré à l’art brut, il a été recueilli en 1953 dans La Clé des champs, et repris en 1965 dans Le Surréalisme et la Peinture. Breton répond au «manifeste de l’Art brut» de Jean Dubuffet, qui insiste sur l’intérêt des œuvres des malades mentaux, internés dans des établissements psychiatriques. Il cite également un article de Lo Duca, sur «L’Art et les Fous», et des études de Jacques Lacan et de Gaston Ferdière… Et il conclut: «Je ne craindrai pas d’avancer l’idée, paradoxale seulement à première vue, que l’art de ceux qu’on range dans la catégorie des malades mentaux constitue un réservoir de santé morale. Il échappe en effet à tout ce qui tend à fausser le témoignage qui nous occupe et qui est de l’ordre des influences extérieures, des calculs, du succès ou des déceptions rencontrées sur le plan social, etc. Les mécanismes de la création artistique sont ici libérés de toute entrave. Par un bouleversant effet dialectique, la claustration, le renoncement à tous profits comme à toutes vanités, en dépit de ce qu’ils présentent individuellement de pathétique, sont ici les garants de l’authenticité totale qui fait défaut partout ailleurs et dont nous sommes de jour en jour plus altérés». Ancienne collection Jacques Millot (Bibliothèque du Professeur Millot, 15 juin 1991, n°24).

Estim. 1 500 - 1 800 EUR

Lot 345 - Albert CAMUS (1913-1960). Tapuscrit signé avec additions et corrections autographes, [L’Été à Alger, 1937]; 12pages in-4 ou in-fol. et 1page in-12. Tapuscrit de travail d’un chapitre complet de Noces (Alger, Edmond Charlot, 1939); dans l’édition, il sera dédié à Jacques Heurgon. Ce tapuscrit, très corrigé, présente d’intéressantes variantes. Il a servi pour l’impression, avec une indication signalant tel passage qui «doit être mis en note». Camus y dit son amour pour Alger: «Ce sont souvent des amours secrètes, celles qu’on partage avec une ville»… À la fin du premier paragraphe, Camus biffe: «et n’ayant rien à désirer, il peut alors mesurer son présent», et corrige: «et assuré de ses désirs, il peut alors mesurer ses richesses». Il décrit la ville désertée en été, les bains au port, la liberté des corps dorés et brunis sous le soleil, les cubes blancs de la Kasbah, le dancing de la plage Padovani, les cinémas de quartier, l’intensité de vie d’un «peuple sans passé, sans tradition et cependant non sans poésie»… Page 11, sur un petit feuillet joint, Camus rédige cette addition: «Tout ce qui exalte la vie, accroît en même temps son absurdité. Dans l’été d’Algérie j’apprends qu’une seule chose est plus tragique que la souffrance et c’est la vie d’un homme heureux. Mais ce peut être aussi bien le chemin d’une plus grande vie puisque cela conduit à ne pas tricher». Ancienne collection Jacques Millot (Bibliothèque du Professeur Millot, 15 juin 1991, n°44).

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 346 - Albert CAMUS (1913-1960). Manuscrit autographe, [La révolution travestie]; 2pages in-4 de sa minuscule écriture, avec de nombreuses ratures et corrections (dactylographie jointe). Manuscrit de premier jet d’un chapitre d’Actuelles I, avec variantes. «Depuis août 1944, tout le monde parle chez nous de révolution — et toujours sincèrement, il n’y a pas de doute là-dessus. Mais la sincérité n’est pas une vertu en soi. Il y a des sincérités confuses qui sont pires que des mensonges. Il ne s’agit pas pour nous de parler sans arrière-pensée, mais seulement de penser clair. Idéalement, la révolution est un changement des institutions politiques et économiques propre à faire régner plus de justice et de liberté dans le monde. Pratiquement, c’est l’ensemble des événements historiques souvent malheureux qui amènera cet heureux changement. [...] la prise de pouvoir par la violence est une idée romantique que le progrès des armements a rendue illusoire. L’appareil répressif d’un gouvernement a toute la force des tanks et des avions. Il faudrait donc des tanks et des avions pour l’équilibrer seulement. 1789 et 1917 sont encore des dates, mais ce ne sont plus des exemples». Toute révolution de gauche serait écrasée par les Américains, et toute révolution de droite le serait par les Russes: «nous ne sommes pas libres d’être révolutionnaires. [...] nous ne pouvons parler que de révolution internationale. [...] la notion de révolution est remplacée aujourd’hui par la notion de guerre idéologique. [...] Après avoir un peu réfléchi à cette question, il me semble que les hommes qui désirent aujourd’hui changer efficacement le monde ont à choisir entre les charniers, le rêve impossible d’une histoire tout d’un coup stoppée et l’acceptation d’une utopie relative qui laisse une chance à la fois à l’action et au monde»...

Estim. 2 500 - 3 000 EUR

Lot 349 - Louis-Ferdinand CÉLINE. L.A.S. «Dest», [7 août 1914], à ses parents; 4pages petit in-8 sur un bifeuillet arraché d’un carnet (le début manque peut-être). Au début de la guerre. «Notre Lt Colonel a été évaqué pour varices. Je crois qu’il se bombera d’avancement. On a grande confiance en le gl Joffre il a l’air en tout cas de prendre ses précautions. Nous couchons tous dans la même grange. Les distances existantes entre officiers et la troupe sont joliment rétrécies elles n’existent même plus du tout. Tout le monde a la gamelle Colonel compris seules subsistent quelques œufs car les poules pondent toujours même en cas de guerre mais la ruée est telle que lorsqu’elles commencent à chanter pour annoncer l’événement 50 poilus se précipitent pour le gober. Je voudrais que ce soit fini avant l’hiver si nous sommes encore vivant car seulement alors ce sera très dur, ils ont du prendre quelque chose en 70. […] Il y a un service d’ambulance supérieurement organisé d’ailleurs je présume que d’ici peu il aura du travail […] On ampute paraît-il rarement, mais les Allemands ont employés déjà la balle dum-dum qui ravage sans recours. Espérons que nous ne tomberons pas dessus, car je ne reverrai pas la rue de la Paix ce qui m’affligerait par dessus tout»… On joint une petite L.A.S. au crayon sur carte de Correspondance des Armées de la République (1p. obl. in-12, adresse au dos), [3 août 1914], à ses parents: «Après quelques jours de fatigues écrasantes prenons un peu de repos, suis sain et sauf mais épuisé peu de pertes. Nous dirigeons vers une direction totalement opposée probablement ce soir»… Lettres (Pléiade), 14-7 et 14-4.

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 352 - Louis-Ferdinand CÉLINE. L.A.S. «L. Destouches», [décembre 1932, à M. et Mme Lucien Descaves]; 3pages in-fol. Double lettre sur le succès du Voyage au bout de la nuit après le scandale du Prix Goncourt. [Lucien Descaves fut un des plus chauds partisans de Céline, et quitta avec fracas l’Académie Goncourt qui décerna le prix à Guy Mazeline pour Les Loups le 7 décembre 1932]. Céline s’adresse d’abord au «Cher et vénéré maître»: «Vraiment je n’y tiens plus. Je ne peux ouvrir un canard sans voir ma sale tétère, j’aime bien lire aussi mais il n’est plus question que de moi»... Il part en Allemagne faire pour la S.D.N. une tournée «pour la médecine du chômage», en passant par Genève où il laissera sa mère... Il espère qu’on l’aura oublié à son retour... «Je suis excédé de journalistes et de photographes. On me hante. [...] On vend me dit-on plus de Voyages que de Loups. Grâce à vous. Tout cela me dépasse énormément. Je vais laisser pousser ma barbe. Même le Figaro me pistonne! Quelle grue me voici»... Puis il écrit à Mme Descaves: «Je suis cette fois devenu pour de bon tout à fait délirant. Je ne sais plus où me mettre. Je me suiciderais pour un rien tellement tout cela m’excède. Tout ce bruit, cette vulgarité, “véritable” cette fois... [...] Votre mari, absolument admirable de courage et de talent comme toujours se dépense pour mon humble cause à un point où je ne sais plus comment le suivre. Grâce à lui on vend (misérable souci) mieux que le Goncourt»... Lettres (Pléiade), 32-47 et 32-48.

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 355 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 3 L.A.S. «Destouches» et (la 3e) «LFC», [1933-1934], à John H.P. Marks; 2 et 2 pages et 1page et demie in-4. À son traducteur anglais, au sujet de la traduction de Voyage au bout de la nuit et de L’Église. [Février1933] 98 Rue Lepic. Il est très heureux de lui témoigner le «plaisir que j’ai eu à lire votre traduction du Voyage». Il signale « une petite erreur de traduction» qu’il a notée dans le texte: «Dans la guerre au moment où le colonel se promène à travers les balles “Il n’avait pas le sens de la mort”, etc… Il restera sans doute encore au cours de votre travail bien d’autres point plus ou moins douteux, il va sans dire que je suis toujours à votre complète disposition pour vous faciliter votre tâche. D’ailleurs j’irai au début ou mi-avril à Londres et aurai grand plaisir à vous rencontrer. Votre style est tout à fait vivant et cela est capital dans ce cas, il s’agit encore de transformer tout ceci je le pressens, en qq chose “d’amèrement anglais”, où cependant ce qui peut m’être propre demeure. Vous voici à une rude et magique épreuve!»... [Juillet 1933]. «Cher Ami. Vous avez bien raison au sujet de l’Église. Il faut attendre. C’est un petit travail assez raté (tout à fait) et dont je n’attends rien. Si par hasard il en résulte quelque chose, ce sera une admirable surprise. Attendons que les couillons s’excitent. Ce qui est mauvais les attire naturellement. Vous voici donc débarrassé de Chatto. Il me tarde d’aller vous voir. Quant aux coupures, faites-moi savoir – bien entendu il ne s’agit que de coupures pour raisons de pudeur et non pour abréger. Le tour du chemineau signifie une mauvaise plaisanterie que jouent les enfants des campagnes au chemineau qui passe… un porte-monnaie sur la route rempli de boyaux… il se baisse etc. Mais supprimez, je crois trop compliqué pour être traduit»... Lettres (Pléiade), 33-84 (texte incomplet). [Début juin 1934]. «Mon vieux, Ces Chatto sont vraiment trop longs à se décider. On ne voit pas très bien comment ils auraient pu être plus longs! À propos du Voyage le succès en Amérique me paraît assez douteux. Je n’y crois guère. La critique me semble avoir pris l’attitude de “smart, superior, not going too be bluffed, what could they see in it I wonder!... and so on…” qui plaît beaucoup au public américain très prédisposé lui-même à ce genre d’attitude vis-à-vis des choses d’Europe et de France en particulier. Sans doute en Angleterre observez-vous le même phénomène, le superiority complex. Quant à l’Église, ne vous avancez pas. C’est un petit raté. J’ai empêché Pittoeff de le monter comme il voulait. L’ouvrage ne vaut la peine ni de la traduction ni de la publication. J’arriverai à N.Y. le 20 et rentrerai fin juillet ici et puis en Bretagne sans doute jusqu’au 1er septembre»…

Estim. 1 200 - 1 500 EUR

Lot 356 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 2 L.A.S. «LF» et «Louis», [juin-août 1934], à l’actrice Junie Astor; 2 pages in-4 (fente réparée), et 2pages et demie in-8 à en-tête du S.S. Champlain. Départ pour les U.S.A., et retour. [Juin]. «Pour Juny! À Toi Totor pour la vie comme de bien entendu. J’ai juste reçu des nouvelles de ma régulière [Elizabeth Craig] qui est une belle garce par le fait. Tout ça pour me faire cocu passe des nuits, pour m’écrire compte les minutes. C’est ainsi quand on vieillit. [...] J’irais voir sur place et lui donner des beaux exemples si j’avais seulement l’argent de la liberté et l’or de l’aventure. Mais ton amant [Jacques Deval] est incapable de faire un sou de mon biniou [projet d’adaptation au cinéma de Voyage au bout de la nuit] aux enchères – et pourtant c’est une œuvre d’art comme on en voit peu. [...] Sans compter qu’on pourrait arranger un petit mariage juif à la fin qui donnerait de l’actualité à toute l’affaire. [...1 Peut-on engager les scénarios à Hollywood comme des montres? Dans ce cas n’hésite pas. Vas le porter tout de suite»... 12 [août]. «Voici la côte. Le truc du cocu a marché pépère encore à Chicago et puis à N. York [Céline a été trompé à la fois par Elizabeth Craig et par Karen Marie Jensen]. Je te le ferai très prochainement. Mais au fond quand même je suis bien sonné. J’espère que de ton côté tu n’as pas à te plaindre. Je te dois bien de la reconnaissance pour la manière si affectueuse dont tu m’as traité là-bas (à part le tourisme). J’ai eu des mots vifs dont je te demande bien pardon. Je ne savais plus très bien ce que je disais, toi non plus d’ailleurs. Douleur, chaleur, loveur»… Lettres (Pléiade), 34-24 et 34-34. 19

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 361 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 5L.A.S., [février-décembre 1937], à John H.P. Marks; 10pages et demie in-4. À son traducteur anglais, sur le pamphlet Mea culpa, ses ballets et Bagatelles pour un massacre. [28 février, en-tête CGT French Line S.S. Ile de France]. Retour d’Amérique, où Mac Dougall et Little Brown ont refusé Mea culpa: «Avez-vous qq chose en vue pour l’Angleterre – où nous puissions le faire passer? J’ai un traducteur possible à N. York, un nommé Parker». Il le prie de lui envoyer «la traduction anglaise du ballet Naissance d’une fée. On me le demande à N. York». Il lui demande aussi de «traduire un autre court ballet que je vais faire pour l’Exposition 37, Voyou Paul Brave Virginie. Je vous l’envoie»… 98 Rue Lepic [mars]. Il s’interroge sur son contrat avec Chatto: «Cela veut dire qu’au cas où ils refusent Mea Culpa, je suis délivré de toute obligation vis-à-vis d’eux?» Le contrat avec Little, Brown & Co est plus confus. Il donne carte blanche à Marks pour traiter avec des éditeurs anglais: «Je m’en fous après tout. Je veux simplement emmerder Chatto s’il fait aussi des petites manières»… Puis il évoque les démarches de Marks dans des galeries pour les peintures de Gen Paul. Quant au ballet Voyou Paul: «Quand il sera prêt, envoyez-moi. Je le fais parvenir en Amérique. On me le demande. Mais je n’ai pas beaucoup de chances avec les petits travaux et débouchés latéraux!.. A moi des dures épreuves!»… Le 15 [avril ou mai]. Il demande de verser sur son «compte Highgate» l’argent pour Gen Paul qui est «dans l’ennui avec ses commandes à l’exposition. Blum ne paye personne»; et de lui envoyer Virginie: «Certes vous pouvez publier tous ces ballets dans un journal si vous le désirez et au surplus prendre pour vous j’y tiens absolument le pognon qu’on voudra vous en donner. Cela vous dédommagera de votre travail et me fera bien plaisir»… 21 [juillet]. Il sera absent de Paris en août et septembre, mais aimerait être «au courant des évolutions de mon Ballet. Sadlers Well serait une très jolie idée. Je peux leur faire faire la musique ici s’ils le désirent mais j’aimerai mieux qu’un anglais s’en occupe».. Le 27 [décembre]. Il lui envoie les Bagatelles. «Voyez ce qu’on peut en faire. Je n’ai pas envie de passer par une agence littéraire. Si Chatto le prend, c’est le même prix que Mort à crédit sauf que je ne veux pas payer l’Incom Tax. […] Je leur donne 8 jours d’option – oui, ou merde».

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 366 - Louis-Ferdinand CÉLINE. Manuscrit autographe signé, Voyou Paul Brave Virginie, Ballet-mime, [1936?]; titre et 57 feuillets in-4 (27 x 21 cm) montés sur des feuillets de Papier vélin d’Arches, le tout relié en un volume in-fol. maroquin fauve estampé d’une forme elliptique, et décoré sur le plat sup. de 6 pièces de box de couleurs avec nom de l’auteur et titre en lettres dorées, doublures et gardes de nubuk fauve, chemise, étui bordé (N. Berjon). Manuscrit de premier jet et de travail de ce livret de ballet. Le manuscrit, à l’encre bleu nuit au recto des feuillets, est précédé d’une page de titre, signée «LF Celine»; il est paginé 1 à 54 avec 3 feuillets bis (2, 21, 29); il présente de nombreuses ratures et corrections. Il se compose de 3 tableaux, chacun précédé d’un «petit prologue». D’abord publié en 1937, avec deux autres arguments de ballets, dans Bagatelles pour un massacre (pages 30-40 de l’édition originale), ce ballet sera repris en 1959 dans Ballets sans musique, sans personne, sans rien, édition illustrée par Éliane Bonabel, chez Gallimard. Sous-titré «Ballet-mime», cet argument a vraisemblablement été écrit par Céline durant l’année 1936, espérant que son ballet serait joué durant l’Exposition universelle de 1937. Malheureusement pour lui, son ballet (comme les autres) sera refusé et ne sera pas porté à la scène. Cet échec affectera Céline, qui tenait à ses ballets par amour de la danse: «J’aime toujours les danseuses. Je n’aime même que cela. Tout le reste m’est horrible», affirmait-il (7 février 1935). Voyou Paul Brave Virginie reprend les personnages du roman de Bernardin de Saint-Pierre. L’action se situe à l’époque romantique. Paul et Virginie, naufragés sur une île, sont ramenés à la vie grâce au breuvage d’une sorcière qui possède des vertus ensorcelantes. Paul abuse de ce philtre et se métamorphose en «voyou». Le deuxième tableau se situe dans le salon de Tante Odile au Havre en juin 1830, rassemblant Mirella, cousine de Virginie, et le sémillant Oscar, ainsi que le chien Piram. Un messager vient annoncer le retour de Paul et Virginie; tout le monde s’envole vers le port. Le troisième tableau se situe sur le port, envahi par la foule. Des danses se succèdent. Paul se retrouve dans les bras de Mirella. N’en pouvant plus, Virginie avale le flacon rempli du philtre de la sorcière. Paul, la voyant s’abandonner à la danse, se rapproche d’elle. Mirella, pleine de jalousie et de haine, tue Virginie d’un coup de pistolet. La foule se disperse et le corps de Virginie est oublié. Seul Piram, le chien, vient se coucher près d’elle... On a monté en tête et en fin du volume 2 photographies de Céline.

Estim. 12 000 - 15 000 EUR

Lot 367 - Louis-Ferdinand CÉLINE. Manuscrit autographe pour L’École des cadavres, [1938]; 5feuillets in-4 plus 2 ff. dactylographiés corrigés (trous d’épingles). Manuscrit de travail avec tapuscrit corrigé pour un passage du pamphlet. L’École des cadavres, qui fait suite à Bagatelles pour un massacre (1937), a été rédigé pendant l’été 1938 à Dinard et Saint-Malo, et publié le 24 novembre 1938 aux Éditions Denoël. Ce manuscrit présente des variantes avec le texte définitif (p. 243-245 de l’édition originale), et se rattache à la séquence 80. Les feuillets autographes sont paginés 1-5; un feuillet dactylographié, abondamment corrigé, a été inséré et épinglé (comme le montrent les traces) entre les pages 3 et 4; enfin 2 feuillets dactylographiés et corrigés sont paginés 6 et 7 et donnent la fin de la séquence. «Le grand triomphe prolétarien à cette époque de damnés simples ça consistait en mitraillades à toute volée, à coups de culs de bouteilles, en furieuses rafales des protections de cavalerie lourde. Que les tessons éclatent horrible, plein les casques […] J’ai été souvent au contact des émeutiers, très bien placé pour me souvenir. […] C’est tout ce qu’elle avait pu retenir des grands abattoirs 14, la masse de masse: un mot! Capital! Maintenant elle en a plein la gueule de son mot!»… Les dernières phrases de la séquence ont été par deux fois biffées avant de trouver la formule: «Y a pas besoin de lui expliquer. Il est toujours là. Il attend.»

Estim. 1 000 - 1 500 EUR

Lot 368 - Louis-Ferdinand CÉLINE. Manuscrit autographe signé «LF Céline», [Acte de foi, février 1941]; 19feuillets in-4. Manuscrit de travail de cette lettre ouverte à Alphonse de Châteaubriant, parue sous forme d’article dans l’hebdomadaire collaborationniste La Gerbe. En janvier 1941, Céline avait reçu la visite d’Eitel Friedrich Moellhausen, diplomate allemand, qui lui demande un article pour La Gerbe; Céline refuse d’abord, puis accepte d’écrire une lettre ouverte à Alphonse de Châteaubriant (1877-1951), fervent apôtre, avant-guerre, du rapprochement franco-allemand, puis de la collaboration, fondateur et rédacteur de La Gerbe, dont il sera peu après écarté par Moellhausen. Or la lettre de Céline fut publiée sous forme d’article, avec un titre «Acte de foi» (certes tiré du texte), et quelques modifications (dont édulcoration des grossièretés, suppression de certains noms propres), ce qui provoqua la colère de Céline, qui renvoya à Moellhausen son chèque, avec une lettre d’injure. Toujours antisémite, Céline se montre ici fort critique à l’égard de la Révolution nationale et des acrobates de la Collaboration. Le manuscrit de cette lettre ouverte est abondamment raturé et corrigé. Il est paginé de 1 à 13, mais avec 5 feuillets bis ajoutés (1, 2, 3, 7, 11). D’importants passages ont été biffés, et 8 feuillets portent au dos une première rédaction biffée. Le texte est bien rédigé comme une lettre, avec une formule d’adresse au destinataire en tête et en fin. «Mon cher Chateaubriant. / L’article n’est point mon fort. La Politique non plus d’ailleurs. Il y faut un tour que je ne possède pas»… Céline évoque une petite fille qui faisait des songes «après» des faits déjà survenus: elle «ne se trompait jamais de songes. Ce qui est drôle chez une petite fille de sept ans est encore plus drôle chez un auteur de quarante ans, seulement d’une autre façon. Je me réfère à tous ces livres, à tous ces articles, plaidoyers, mouvements, témoignages et leurs auteurs, qui paraissent, s’agitent, en nos zones [accablées biffé] sub-maudites, depuis juin. L’œuvre des “songeurs-après”.» Et Céline de railler le livre Après la défaite [de Bertrand de Jouvenel]: «Les œuvres des “songeurs après” sont toutes strictement réversibles. Elles ont ce caractère commun, et puis ne parlent jamais des juifs. Elles réservent l’avenir. […] Cent mille fois hurlés “Vive Pétain” ne valent pas un petit [“mort aux juifs” biffé 2 fois] “vive les youtres!” dans la pratique. Un peu de courage bordel Dieu! […] Rapetisser, édulcorer les cyclones à la mesure “[petit biffé] menu-jean-foutre”, mesure française, c’est le but sournois. Voyez cher Chateaubriant, que nous sommes vraiment loin de compte. […] Il y a de tout dans vos journaux! et re-de-tout pour ainsi dire! Crypto, para, microni youtres! On ne sait jamais avec ça qui va bien vous écrire dans le dos! […] Et qu’est-ce que nouveau parti? supernational, poustouflant? Pantoufles? […] C’est ça votre Révolution? Mordons la nous! Aux fous! […] Qui se touche, ne se finit pas, s’énerve aux jeux insipides, fait bientôt sous lui… Nous y sommes. / Ah! quand je vois ces gros Soviets comme ils ont bien vite “rapproché” de la gentille Lithuanie. Ah! que ça n’a pas traîné, pas fait un pli! pas un ouf! Ah! je demeure tout ébaubi, pensif, ravi, aterré. […] Il est un décret de nature que les fourmis toujours, toujours, mangeront les [limaces chenilles biffé] larves. / Charles Dieudonné, suisse parfait teint, délivre à M. Guitry des très hauts brevets de francisme. Il nous semonce de battre coulpe! […] Je voudrais que M. Guitry nous dise un peu tout ce qu’il pense de la question juive! et nous serons heureux! jubilants!»… Et Céline de conclure: «Compromettons-nous! En toute liberté bien sûr, spontanément, au pied du mur. Sans aucune pression. Et l’on saurait à qui l’on cause, enfin! Acte de baptême n’est point tout! Acte de foi, net, par écrit. / Les juifs sont-ils responsables de la guerre ou non? Répondez-nous donc noir sur blanc, chers écrivains acrobates. Ne vous touchez plus! Qui vive? Qui vive? / Bien amicalement cher ami, et tout désolé, vraiment sur cette terre où rien ne pousse, décidément [, pas même un petit oui bien ferme biffé]. / LF Céline». On joint un exemplaire du numéro de La Gerbe, où a paru l’article. Lettres (Pléiade), 41-6 (texte de l’article).

Estim. 4 000 - 5 000 EUR

Lot 370 - Louis-Ferdinand CÉLINE. Tapuscrit en partie autographe, signé «LFerd», [Lettre à Jean Lestandi, 1942]; 7pages in-fol. ou in-4. Vigoureuse lettre ouverte rejetant l’étiquette d’anarchiste qu’on lui accole. Cette lettre a été publiée le 10 septembre 1942 dans Au pilori, dernière des quatre lettres de Céline publiées dans cette revue dirigée par Jean Lestandi. Dans son «Mémoire en défense», Céline a renié ces lettres, prétendant qu’elles ont été «arrangées, tripatouillées, faussées». Ce tapuscrit, outre de nombreuses corrections et ajouts autographes, comprend l’insertion de trois importantes additions autographes par des béquets, de 4, 16 et 10 lignes, dont la conclusion. Il présente d’importantes variantes avec le texte publié. «Cher Lestandi, Vous me demandez pourquoi je n’écris plus? Vous êtes bien aimable. Ma réponse est simple». Et Céline ajoute de sa main: «Ce qui est écrit est écrit. Jamais de redites. Ce qu’il faut écrire, rien de plus, au juste moment. Le moment passé, le danger passé, place»… Il faut des écrivains, des négociants, «des diffamateurs, des bourriques, des innommables. J’en ai toujours une bonne meute au cul»… Puis il dénonce le «petit clan […] qui me veut soudain devenu anti-allemand et le va chuchoter partout, et pour mieux m’accabler encore: anarchiste. “Anarchiste” est un bon poignard, toujours facile à placer. Le mot suffit, il enfonce. Revanche des larbins. […] Tout fait charogne dans cette racaille, juifs, antisémites, vieux maçons, indicateurs de partout, jeunes ratés, soupirants du Front Popu, camouflés de tout, marchands d’étiquettes… Ah! me supprimer quel rêve! Place nette! Pensez donc un tel témoin!»… Plus loin, il ajoute de sa main (ce passage sera modifié dans le journal): «Monzie ce vieux clown nous mijote une Histoire de France, maçonne et sémite j’imagine, que pourrait-il faire de mieux ? Grand ami de Bernard Lecache, Grand Protecteur du Tout Métèque, grand conférencier en Loges, membre d’honneur de la LICA? Il s’agit bien assurément d’un tribut d’Hommage, au terme d’une fameuse carrière. Trois batteries pour la galipette! La mystique est en bonne voie! Déjà toute la presse jubile, encense, frétille de volupté! Monzie se croise! La France est sauvée! J’attends que son œuvre figure au programme de toutes les écoles, avec commentaires de Raynaud, et l’Ode du maître à Worms»… Céline répond aux critiques et attaques dirigées contre lui, avant de conclure de sa main: «Ami notre saison s’avance! Nous entrons dans un autre monde, demi morts déjà, de fatigue. Caron me doit un petit coin… une friture de Styx! Non, je ne serai jamais triste, mort ou vivant… L’âme légère je vous salue, et vous attends!»… Cahiers Céline 7, p.168 (texte de l’article).

Estim. 1 500 - 1 800 EUR

Lot 371 - Louis-Ferdinand CÉLINE. L.A.S. «Louis F Céline», [15 avril 1943], à Marie Bell; 2pages in-4 sur papier bleu. Lettre admirative à la comédienne, après la première de Renaud et Armide de Jean Cocteau. «Chère Amie Soirée magnifique grâce à vous. Mille grâces et affectueuses pensées! Pièce superbe, acteurs admirables, vous la plus belle, parfaite. Moins chaud sur les costumes [de Christian Bérard] plus quazarts que féeriques. Ratés. Le vôtre du second (à plumes) affreux. Il vous gonfle le visage. La traîne miteuse. Tout ceci manque de luxe. Le décor [de Bérard] mauvais. On veut voir les jardins d’Armide. On trouve une mine de charbon désaffectée. Et puis pourquoi voir si mesquin ne pas utiliser toute votre scène – toujours réduire vos actes à des levers de rideau... Ratatiner tout. Êtes-vous fatigués? Pas assez de féerie dans ce décor, des projections de fleurs... de grâce... Vous vous traînez dans le coaltar, on imaginerait des roses. Il faudrait plus de musique. Cette pièce comme toutes les grandes pièces est sur la pente opéra – pas de bruits d’atmosphère, le dernier acte est très réussi because, mais un peu trop sourdes les musiques – Tout devrait se rejoindre, voix et musique. Ne jamais oublier que l’Homme chantait avant de parler. Le chant est naturel, la parole est apprise. La source de poésie sort au chant – pas au bavardage. Cocteau aurait introduit un peu de drôlerie – il frôlait Schaekspeare déjà tel quel c’est bien agréable – et vous êtes à la mesure […] On n’y célèbre aucun juif, si ce n’est un peu Ben Jésus. J’y respire»…. Il envoie «mille baisers et cent mille gros et affectueux mercis». Et il ajoute qu’il n’a pas aimé le prologue (deux proverbes de Carmontelle), qui «assomme déjà l’auditoire de vers avant votre arrivée! Quelle maladresse! Et puis un concours de diction! Les trois meilleurs jeunes gens lauréats de la Confrérie Vincent de Paul! Grotesque!» Lettres à Marie Bell (Du Lérot), n°1.

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 372 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 4L.A.S., [1943], à Marie Bell; 3pages in-8 et 2pages in-4, adresse au verso de la 1ère lettre (déchirure lors de l’ouverture). [19 février]. «Mille excuses! Pas la semaine prochaine! Me voici pris par un travail du soir! Je passerai vous voir chez vous un matin»... Le 13 [mai (?)]. «Chère Marie Je ne sais comment vous témoigner toute ma gratitude et ma désolation... Je renonce à cette vente. Pour vous pour moi tous ces pourparlers sont assommants, humiliants, abominables! Qu’ils aillent tous se faire foutre! N’y pensons plus! Et mille grands mercis! Je passerai à Joinville vous voir Lundi!»… Le 3. «Chère Marie Croyez moi tout désolé de vous avoir engagé l’autre soir dans cette démarche si stupide, si pénible. Je n’ose reparaître. Qu’espérer de ce petit bougre tout papillotant de poussières? Rien bien sûr! Au musée! Où avais-je la tête! J’ai honte! Ah! les armées tartares devraient passer qq jours dans les Théâtres subventionnés. Quelques jours seulement... La Pauvre Almanzor [Lucette] vous demande bien pardon! – (je suis seul responsable) cela ne m’arrivera plus. À quand le splendide équipage et non plus le fiacre! Voici ce dont je rêve pour vous. Être éclaboussé! Païva vraiment et non plus son “6ème”»… 5 [juin (?)]. «Pas la semaine prochaine si vous voulez bien. J’ai trop de migraine. Je travaille trop. Je suis ahuri. L’autre semaine avant le départ. Je passerai vous voir au théâtre ou à St Maurice»…. Lettres à Marie Bell (Du Lérot), nos2, 3, 4, 5.

Estim. 1 200 - 1 500 EUR

Lot 374 - Louis-Ferdinand CÉLINE. L.A.S. «LFC», Copenhague 14 mars 1947, à Marcel Aymé; 6pages in-fol. Longue lettre d’exil, la seule connue adressée à Marcel Aymé (qui l’a communiquée à J.-G. Daragnès; M. Aymé déchirait les lettres qu’il recevait après les avoir lues). La lettre de son «vieux» lui fait «un bien immense, car il m’est souvent permis de croire que le ciel et la terre et l’enfer sont ligués et spécialement et “totalement” contre le misérable objet que je représente. Il sera peut-être un jour possible de te raconter tout ce que nous avons enduré et nous endurons encore Lucette et moi sur le plan prison, sur le plan “amis”, sur le plan cabales, sur le plan maladie… etc. Je t’assure que les “ennemis” sont bien vengés!» Il a envoyé à Zuloaga un document faisant le point sur sa situation. Il évoque un projet de pétition en sa faveur par des «écrivains et artistes français […] Voilà précisément ce que l’on me reproche – c’est d’être seul – que personne n’élève la voix pour ma défense. Tu penses que les youtres pendant ce temps ne se gênent pas pour m’accabler et avec quelle insistance, quel acharnement. Toutefois pas tous puisque Milton Hindus, de Chicago, monte une contre-offensive en ma faveur», et son avocat danois Thorwald Mikkelsen le défend «pouce à pouce (et philosémite cependant) contre les chacals d’ici», notamment l’ambassadeur de France Guy de Charbonnières, «jeune trou du cul de Vichy, […] certainement ½ juif. Il se blanchit en me pourchassant à boulets rouges». Il y a aussi le juriste Hovitz, qui voudrait le faire livrer à la justice française… Mais «impossible de trouver des faits sérieux de “trahison”! Et comme on aurait bien voulu! Ah la la! Quelle danse du scalp! Quelle bamboula! On dansait déjà! Tu parles! Mais j’en suis au ¾ crevé quand même et Lucette aussi!»… Etc. Puis il annonce l’opération de Bébert (son chat), «brave petit père qui ne nous a jamais quitté – sauf pour aller aussi lui en prison qq jours!» Il évoque Descartes, «mort à 2 pas d’ici chez Christine en exil. La neige l’a tué. Si tu voyais ce qu’il tombe! Mais la méchanceté tue bien mieux que la neige»… L’Année Céline 2008, p.74.

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 375 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 3 L.A.S. «LFC» (la 1ère «Louis Fd»), Copenhague mars-juillet 1947, à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 2, 3 ½ et 2pages in-fol. Lettres d’exil, sur les poursuites contre lui, et sur ses éditeurs. 17-2 [sic pour mars]. Il lui demande du sucre et du thé, car il n’y en a plus au Danemark; «le beurre on s’en passe»... Céline parle alors de ses éditeurs: «Sorlot promet vaguement un acompte pour le 15! Oh la tante! il est coriace! Mais c’est à rire – Rien de tragique... Il a déjà touché le pèze des souscripteurs. Il laisse venir. La Voiliers [maîtresse de Robert Denoël, et principale actionnaire des éditions] son procès en Epuration remis “sine die”! C’est une femme gangster – tous les vices [...] Ah je voudrais séduire Fasquelle! J’apprends que Staline est passionné par mes livres! Vois ce que je loupe!»... 5 juillet. Il remercie les Daragnès de l’accueil réservé à Mikkelsen. «Du damné puant que j’étais depuis deux ans, en cul de basse fosse, je suis devenu le damné qui a tout de même des amis excellents»… Il attaque son prochain livre Féerie pour une autre fois: «je le débiterai en chapitres. L’avenir n’est à personne, à moi pas surtout! Je suis sur le bombardement de Montmartre. Je vois que la soif du sang ne s’étanche guère en France. On arrivera à la Bombe Atomique avant l’amnistie si ça continue!»… Il demande qu’on vienne le voir… 25 juillet. Sur Gen Paul: «Je crois que le pauvre Gen va se dissoudre dans l’alcool. Je n’en retrouverai plus si je rentre jamais… quelques filaments de rigolade un peu de fiel, quelques cristaux de génie… un bocal»… Il conseille d’aller voir Jacques Deval, qui va rentrer en France… «On me propose de m’imprimer en Suisse et en France aussi, mais je me gratte… Les successeurs de Denoël en tout cas sont des beaux fumiers! Pas un geste! Pas un mot!»… On joint une L.A.S., 1er mai [1947], à Mme Daragnès (1page et demie in-4), l’avertissant que Mikkelsen a remis son voyage à Paris. «Notre situation est redevenue sinistre. Je suis l’objet des attaques du journal communiste danois Land o Folk qui cherche pouille au gouvernement à mon sujet, qui trouve évident que ma place n’est pas à l’hôpital, mais en France, au cachot, aux poteaux etc.»

Estim. 1 500 - 1 800 EUR

Lot 377 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 3L.A.S. «LF Céline» (la 2e «LF»), Copenhague juillet-août 1947, à John H.P. Marks [à Madrid]; 3pages et quart, 5pages et 3pages et demie in-fol. Retrouvailles avec son traducteur anglais. 2 juillet. «Quelle joie de retrouver votre trace! Je désespérais de jamais remettre la main sur vous! Il s’est passé tant de déluges et d’atroces! J’ai su ce que votre amitié avait fait pour moi… Votre intervention a été capitale auprès des Américains… Vous avez donné confiance… à Milton Hindus qui a fait un travail admirable en ma faveur là-bas... Je ne parle pas des supplices que nous avons endurés avec ma femme Lucette! Tout ceci n’est pas à remuer. Ce sont des plaies vives… 17 mois de cellule de condamné à mort… et puis cette énigme… cette réclusion absolue… le monde entier entre soi bavant de haine. Quelle horreur! Mikkelsen mon avocat ici a été stoïque et admirable autant que mes ennemis ont été immondes menteurs et lâches… Dans l’ambassade de France ici aussi hélas! À Montmartre tous les potes ont été très empressés et efficients… Popol en particulier et Daragnès et cent autres. Beaucoup d’affections partout où j’ai pratiqué la médecine, de Clichy, de Bezons etc. Enfin nous commençons à revoir un petit peu clair mais j’ai l’âme brisée et le corps en loque. J’ai fait en prison, si obscure, si humide, un trou, une maladie dénommée “pellagre”. J’ai maigri de 48 kilos! Un revenant! Ma femme Lucette a donné clandestinement des leçons de danses espagnoles, elle est aussi entichée d’Espagne que vous! C’est son rêve d’aller là-bas! Elle joue des castagnettes comme une déesse»… Il parle enfin de son ami espagnol Zuloaga: «il a organisé toute ma défense en France avec les amis et surtout Maître Naud l’avocat de Laval»... 20 août. Il presse Marks de venir le voir à Copenhague: «Évidemment si tu peux faire monter ici une gracieuse secrétaire alors on ne s’ennuiera pas du tout. Ce sera des vraies soirées à la chikeken! Des rajeunissements mon fils! La vraie jouvence. Ça vaut 25 Châtel-Guyon! 30 Carlsbad et 30 Aix-les-Bains. C’est un sage qui te cause, et médecin. Pas d’excès mais de la joie! N’oublie jamais la joie. Buveur d’eau, pas fumeur, c’est à la nature que je demande mes forces. […] Et merde au chagrin! pleurnicheries, cafouillages! Pas une larme! du foutre! Là sont les hormones – et de jeunes épidermes, beaume de tout. […] fais toi sucer – le monde t’appartient. […] Gen Paul m’aime bien et je l’aime bien. Il a du génie, et c’est un frère – mais il est démoniaquant pervers, jaloux»… Il donne des détails sur la montre qu’il désire: «J’ai passé tellement de secondes, tant de millions de secondes atroces, que j’ai attrapé le fétichisme du temps. Le Temps – Dieu. Je veux lui payer la plus belle montre que je puisse trouver». Il évoque ses défenseurs américains: Milton Hindus «un juif», et l’avocat Cornell… 22 août. Il lui indique comment rencontrer Zuloaga… «Je suis otage ici – plus un moyen de déplacement. Prisonnier sur parole. On va retirer le Voyage en français à Lyon. Milton Hindus a fait merveille pour moi en USA. Si vous rencontrez Abel Bonnard ex ministre de l’Instruction Publique, faites-lui toutes mes affectueuses amitiés. J’ai soigné sa mère jusqu’au dernier moment à Sigmaringen […] Je l’aimais beaucoup, c’était un grand cœur et un magnifique esprit. Il doit souffrir beaucoup. Enfin il a échappé au pire! la cellule! Je prépare Féerie pour une autre fois – mais hélas avec bien du mal». Il dénonce Morandat, l’occupant de son logement de la rue Girardon, qui «a foutu de haine, aux ordures tous mes manuscrits en train! y compris Guignols II. Il faudrait tout recommencer!»… Il parle encore du dévouement de Marie Canavaggia, du «putride» Max Vox qui a remplacé Denoël, assassiné…

Estim. 1 500 - 1 800 EUR

Lot 378 - Louis-Ferdinand CÉLINE. L.A.S. «LF Céline», [Copenhague] 29 juillet [1947], à son ami Charles Deshayes à Lyon; 3pages in-fol., enveloppe. Sur son procès et les écrivains collaborateurs. Il approuve l’idée de faire appel à Édouard Herriot, mais recommande de ne rien faire sans Maître Naud: «il tient les fils de ma défense ici [...] connait au mieux les délicatesses de mon périlleux dossier... vide d’ailleurs... Pensez si je connais Cendrars! Depuis 1916! et les autres! Je suis fixé sur tout ceci – archi blasé. J’ai chassé la pièce de cent sous avec Abel Gance dans les fourrés de cette époque... Canudo!... le Sarrets.... Vuillermoz... J’ai connu tous ces “génies” à leur aurore... Vieux parisien vieux médecin j’ai peu de choses à apprendre de toute cette faisanderie... Denoël d’ailleurs les valait 100 p. 100! Ce n’était pas une raison pour l’assassiner! et tant d’autres! Mais vous pensez bien que la nouvelle “Légende dorée” a besoin de maudits, de démons, de monstres... J’en suis voilà tout. On a fait des procès de sorcellerie, pas plus sérieux, pendant 15 siècles... On me fait un procès en sorcellerie – c’est tout. Mais foutre on n’a jamais vu des bourreaux renoncer à brûler des sorcières!... ou sorciers! La Justice n’a rien à faire là dedans. Il s’agit d’amuser la foule, sadique, dégueulasse, c’est tout. [...] J’ai répondu à Combat où on me traite de criminel faciste. Mais ils se tairont». Quant à Paulhan, «il prend la défense de Montherlant – le beau jean foutre! et Rebatet si parfaitement vendu à la collaboration et Brasillach, de même. Il voudrait faire tort à la cause qu’il ne s’y prendrait pas mieux. Il offre des cibles l’imbécile! Ah que l’intellectuel est con!» Lettres à Charles Deshayes, p.35.

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 381 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 3 L.A.S. «LFerd», «LF» et «Louis», [Copenhague] février [1948], à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 5 et 4 pages in-fol., et 4pages in-4. Sur les accusations portées contre lui, son défenseur américain Milton Hindus, ses éditeurs… 6 février. «Il paraît que Sorlot est passé par l’Épuration? Et les Denoël? Canavaggia ne me tient plus au courant de rien. Elle déconne. Il lui faudrait la bite au cul […] le but c’est que Sorlot refile le pèze de mes droits s’il y en a à Geoffroy […] un très brave ami». Puis il parle de Milton Hindus «mon juif pote professeur de Chicago [qui] me défend à fond aux USA, en conférences, articles etc.» On va protester, exhiber son «Dossier», où il n’y a que deux accusations: «1° En 1943, j’ai demandé à être naturalisé allemand! Cette naturalisation m’a été refusée! (Pourquoi mon dieu?) 2° J’ai remplacé Menetrel comme médecin auprès de Pétain. Inutile de te dire que je n’ai jamais remplacé Menetrel (qui était d’ailleurs agent de l’Int. Service) et que je n’ai jamais vu Pétain ni à Sigmaringen ni ailleurs. Il vivait en reclus, complètement isolé de nous, dans un étage du château – nous on vivait en ville dans des chiots. Et puis j’aurais soigné Pétain? Quel crime? Suis-je médecin ou astronome? Enfin tu vois on se caille pas pour me trouver des crimes! On y va gaillardement! N’importe quoi»… Il promet un grand scandale: «En a-t-on assez parlé du Bordereau Dreyfus – de l’Innocence Dreyfus! Des faux en écriture et patata… Alors! Ça recommence»… Il promet un grand scandale en Amérique… 17 février. Il se plaint des éditeurs, des faux amis… «Je vais passer un bout de Casse-Pipe aux Cahiers de la Pléiade chez Paulhan. Je lui en fais don […] Pas de nouvelles de Naud = 0. Y a pour 20 ans d’épuration. Je ne crois pas qu’il faille encore et de loin songer à la publication de ma défense ! Toute cette défense rabâche toutes les mêmes choses ou à peu près. Je ne suis pas coupable etc. c’est que l’on s’en fout bien ! Cela n’intéresse plus personne ! […] Je crois tant qu’à faire qu’il faut plutôt jouer les clowns… tachez de faire rire, laisser le cannibale tranquille»… La lettre est cosignée par Lucette. 21 février. Son ami le bijoutier Georges Geoffroy «réalise en ce moment avec mon oncle Louis tout ce qu’on peut réaliser de bribes de mon maigre héritage. Mon plan est de lui faire acheter avec la somme deux montres qu’il me portera ici», et de convertir aussi ce qu’il touchera de Sorlot pour l’édition de Foudres et Flèches. Ces montres seront faciles à négocier «aux rivages où nous porteront de nouvelles tempêtes. Tu as raison il faut tâter l’opinion, le poil des chacals… ça rit des chacals… c’est ma seule chance! […] Sorlot à surveiller – qu’il douille au plus tôt – et puis qu’il évite les tracasseries de la Voilier – qui va fumer tu penses! Mais elle est incapable de m’éditer alors??»

Estim. 1 200 - 1 500 EUR

Lot 382 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 4 L.A.S. «LFC», «LouisF» et «Louis», [Copenhague mars-avril 1948], à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 5pages in-4, et 4, 6 et3pages in-fol. Sur ses éditeurs, notamment sa haine contre Mme Voilier (Denoël), et au sujet du pamphlet contre Sartre, À l’agité du bocal. Le 22 [mars]. Daragnès doit venir voir Céline au Danemark. Quant à l’éditeur Sorlot, «il payera aussi peu et aussi tard que possible... peut-être pas du tout – mais ça ne fait rien – c’est excellent quand même – ça encouragera les éditeurs sérieux». Céline ne veut pas corriger les épreuves, et laisse ce soin à Marie Canavaggia. Quant au contrat, «c’est une rigolade [...] Je n’ai plus de personnalité civile en France. On peut me faucher tout ce qu’on veut! La preuve! milles preuves! Et les contributions m’attendent avec 600.000 francs de saisies dues à Pétain!». Il faudrait téléphoner à Fasquelle, qui avait proposé de l’argent en Suisse: «mais j’ai très dignement refusé. Je ne veux toucher d’argent que s’il tire mes ours. Pas de pourliches. En principe il devait me monter une maison fictive en Suisse à mon nom. La mère Voiliers m’aurait fait des procès là-bas! Il n’y a plus de Denoël c’est un gang – et sans doute d’assassins». Puis Céline parle de son ami Dedichen et de son avocat Mikkelsen. Il quittera bientôt Copenhague pour la campagne: «Tu sais combien je l’adore! Enfin n’est-ce pas tout est mieux que Fresnes et son équivalent danois!» Il évoque enfin ses anciens amis montmartrois «Popol» [Gen Paul] et «Antonio» [Zuloaga]: «il n’ecrit plus un mot [...] Il faudrait retirer à 200000 pour qu’il se réveille. Ah chers snobs!» Mercredi [fin mars]. Pour Sorlot, qui «doit être en train de se faire épurer», il faut attendre: «S’il a le flouze le 15», Geoffroy le transformera en objet. Que Daragnès apporte du thé: «Lucette a été si malade que j’ai dû lui supprimer le café. La pauvre petite traîne à présent, ne reprend pas son entrain, sa gaieté – cela m’afflige. L’épreuve a été trop longue, trop dure, trop de tristesse, trop d’angoisse, trop d’horreur. […] Surtout son petit monde de la danse qui lui manque. Cette vie de chiens pourris cette perpétuelle humiliation userait du granit. Moi encore j’ai la haine, mais elle en est bien incapable». Après une allusion au scandale qui frappe le père de l’ambassadeur Charbonnières, il parle du pamphlet À l’agité du bocal: «La lettre pour Sartre à ne pas publier – privée. Je suis toujours prisonnier sur parole. Je ne peux me payer le luxe de provoquer l’éminent patriote Sartre. Il y aurait scandale, indignation, bascule. – Tant que j’aurai le mandat au cul, toute révolte me retomberait en menottes… c’est le mandat qu’il faut faire lever».. Le 18 [avril]. Après la visite de Daragnès, il évoque le projet d’édition de ses œuvres par Maurice d’Arquian: «certes j’aimerais 1000 fois mieux m’arranger avec D’Arquian qu’avec Voiliers – vieille pétasse menteuse bluffeuse idiote au fond, qui n’a rien compris du tout. Quant à la solliciter, maquerelle morpionne comme elle est… elle y verra tout de suite une occasion de me morpionner davantage. J’ai rompu avec sa turne –c’est tout. Je ne sais de quel bidet elle me tombe! Contrat? La belle histoire! le beau brelet! Elle peut s’en bien torcher! Il est nul – et rompu au surplus pour cent raisons […] Voiliers ne tient que par sursis. Sa boîte en jugement est évaporée – ipso facto. Ses dites actions de perlimpinpin, ses contrats de papier chiot. Au surplus ils se sont tenus ignoblement à mon égard. J’ai fait cette turne. Cette grognasse m’écœure. Lâche, fourbe, bête, et maquerelle sans finesse et pire que tout! fauchée. Un éditeur d’abord, primo, avant tout c’est un banquier. […] Elle comptait sur mon contrat, mon commerce, pour me vendre à une autre maison. […] Elle était pas née la souris que j’avais déjà des gagneuses et tant et plus! Poëte je dis! J’aime mieux traiter avec un homme comme d’Arquian qu’avec une fausse maxi paumée conne pareille. J’aime mieux crever pour tout te dire que d’être fait par une damoiselle, même à gode!» Quant à la lettre à Sartre [À l’agité du bocal], «tant pis qu’elle circule ! Tant mieux. Il ne me fera pas extrader, ni Charbonnières. Ils ont rêvé, tant pis. Ils l’ont dans le cul comme Voiliers»... Le 29 [avril]. Il donne l’adresse d’Arletty au Plaza Athénée. Tout irait avec d’Arquian, s’il n’y avait pas la Voilier: «elle compte précisément payer son amende avec le retirage du Voyage! Cette bonne blague! Et moi je saute à la corde. […] Alors foutre je voudrais lui interdire de tirer. Tout net. […] Qu’elle se trouve au moins forcée de me faire un autre contrat avec flouze d’abord»…

Estim. 1 800 - 2 000 EUR

Lot 383 - Louis-Ferdinand CÉLINE. L.A.S. «LFCéline», [Copenhague] le 30 [avril 1948]; à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 3pages in-fol. «Tu es le seul qui saisisse les choses. Si tu savais les lettres de cons soi-disant amis que je reçois! à dégueuler! […] Ta venue m’a fait beaucoup de bien ici dans le coin. Ils te redoutent indépendant un monsieur. À l’ambassade, chez Mik, etc. Tu leur pisses au cul. Voilà ce qui compte! Les babillards du même bord c’est du vent. Le monsieur qui leur pisse au train voilà l’autorité. […] Si je crevais lentement de faim ici ou rapidement de maladie ça ferait plaisir à tout le monde»… Pas question que Lucette aille à Paris: «elle serait prise au piège, assassinée, kinappée, enfermée je ne vivrais plus»… Puis sur ses livres: «Fais ce que tu peux pour Scandale et Foudres et Flèches – reproduction, adaptation, traduction absolument interdites – je pense de plus en plus au clandestin – seul moyen de m’en tirer – à petits tirages extrêmement cher même Féerie par petits livrets. Je pense à une nouvelle de 50 pages, l’Ambassadrice (sur Copenhague). Quand on verra ce que donnent les autres je te le refilerai, mais c’est 3mois de boulot – en inédit, c’est bon. Ne fais pas de démarches auprès de Naud, c’est nib. Il attend que la Lune descende en charette les Champs-Élysées. – Kif Fasquelle – Kif Philippon – gentils agités causeurs […] Pour le mandat je l’aurai au train 10 ans, 20 ans – voilà ce qui est à peu près assuré»…

Estim. 600 - 800 EUR

Lot 384 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 5 L.A.S. «LFC» (une signée «LF Céline», une non signée), [Copenhague août-décembre 1948], à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 3, 9, 9, 2 et 4pages in-fol. Longues lettres contre Mme Voilier et Denoël. 5 août. «Je crois que tu dois avoir bien du mal à renflouer ma nef pourrie! Pourris éditeurs aussi! Tous décidément! Plus aucune nouvelle d’Arquian !… réfléchissant aussi sans doute, attendant la chute de la Lune dans son vase de nuit… et les ffameux Eeevénements! C’est du RàF qui fait les Eeevénements en France – Pas de bombe dans le cul pas d’EEvénements. Personne ne bouge, accroupis sur ses ronds, sa Situaaaation». Il a, «par un “cul-béni” admiratrice belge», des nouvelles de Le Vigan [qui va sortir de prison] «à ne communiquer à personne (au ghetto Popol surtout vipérin en diable)»... Il ajoute: «Je voudrais qu’il aille en sortant de cage passer qq temps chez ce cul béni», Mme Fays Vuylstecke à Geluwe: «Elle est friquée. C’est une grosse brasserie, à 3 kil. de la frontière française. Il se refera la cerise. Je n’ai jamais rien accepté d’elle. Que son cœur dévot prenne Le Vigan en charge». Le 17 [octobre?]. Après avoir parlé de problèmes d’argent («Toujours pauvres comme des rats»), il recommande que toute éventuelle édition de ses œuvres se fasse «en Suisse et en argent suisse. Tout et toujours en Suisse. Merde et la France! [...] j’ai 600.000 francs de saisie du fisc chez Denoël Voilier! [...] Ne t’hypnotise pas sur la Voilier. Elle n’a pas un sou – c’est une canaille, et je lui ai dix fois signifié que notre contrat était rompu [...] Il faut m’éditer en Suisse à mon nom c’est tout. Mais je ne veux pas de 5 p. 100 de passe! de droits d’adaptation etc... Je ne suis pas puceau précisément. [...] Le livre de Taittinger est joliment bon. Il serait bien de soulever ce vacarme. L’arrivée des Tanks russes en soulèvera un autre encore plus violent! Que toute cette chienlit s’agite! gigotte! les beaux manèges!»... Puis il parle de son procès: «je vais être épuré par contumax, en cinq secs, un de ces 4 matins! 20 ans sans doute et saisie etc. [...] Seulement on ne m’étranglera pas en silence. Tous mes avocats sont des dégonflards. Je serai condamné sans doute. Mais j’ai les colonnes de Samedi Soir et Dimanche Soir [...] Tu vas voir de la grosse artillerie. J’ai prévenu – une belle affaire Dreyfus à rebours! [...] Et je raconterai moi l’Historiette et ses gentils à-côté. Je sais faire rire tu le sais, jaune, vert, rire à en mourir! Quand on pousse un homme et on persécute à bout, il faut bien savoir qu’il va vous retomber des drôles de chiquenaudes sur la gueule! [...] Ici je suis cramponné – tabou. Extradition! Balpeau! J’ai été gentil, courtois, patient – en dépit d’atroces hurlantes saloperies subies – mais à présent c’est marre. Si ces voyous, ces voleurs, ces chienlits s’entêtent – ils en auront plein le portrait». Et Céline recommence à fulminer contre Mme Voilier, et ne veut plus être édité qu’en Suisse... «plus question d’éditeurs en France sauf clandestins»... Le Mardi [octobre ou novembre]. Nouvelle diatribe contre Mme Voilier: «Cette pétasse esbrouffeuse qui s’arroge des droits sur mon (et combien!) travail me semble monstrueuse! […] idiote: menteuse! prétentieuse et mauvaise épicière. Incapable. Qui veut moi, à bout, sans défense, m’exploiter encore. Mon nom pour renflouer son épicerie pourrie! Hm??? L’épicerie de personne! La mienne surtout! Ce parasitisme abracabrant, effronté, arrogant, ne peut passer. Et que je me fous de ses procès et machinchouettes! […] Que j’aie le privilège au moins des hors-la-loi, de ne pas avoir à mâcher mes mots! Certes je continuerai à lui adresser des adresses injurieuses! Et l’injure de ses prétentions, de son bluff! Je vais prendre des gants! Charogne! Je lui rendrai la vie impossible par la plume, par tous les moyens. Je suis un ouvrier qui défend son travail contre une voleuse pétasse pourriture»… Etc. Il veut bien risquer Jonquières avec Foudres et Scandales, «boulots mineurs […] Le principal est d’être payé en Suisse en francs suisses. […] Je suis un honnête homme. Mon contrat avec Denoël est formel. J’ai dénoncé mon contrat selon les termes que l’on peut lire noir sur blanc. Denoël est mort. La Voilier m’a saboté, leurré, dégueulassé depuis cinq ans. […] Denoël m’a toujours trompé. Elle a pris à cet égard la suite. Moi je n’ai jamais trompé personne. Malheur à celui qui me trompe. Je ne pardonne pas»… Etc. Il prépare un pamphlet «Terreurs Enterreurs Déterreurs»… 23 octobre. «Tu penses qu’on a pressuré, essoré, supplicié Mimik à la dernière goutte pour lui faire baver les ragots… l’extrait de la Butte! […] Il tourne montmartromane»… Le 27 [décembre?]. Il demande

Estim. 2 000 - 2 500 EUR

Lot 385 - Louis-Ferdinand CÉLINE. L.A.S. (paraphe), [Copenhague] 2 août [1948, à son ami Georges Geoffroy; 2pages in-fol. Conseils sexuels. Il le remercie d’avoir reçu Milton Hindus: «c’est une sorte de rabbin qui me veut du bien – et me le prouve en somme – mais il admire Hitler! c’est grave! Il le compare à Napoléon et César! Qu’il ne connait pas. Il a trop lu de Readers Digest. Il est scandalisé que je n’aie jamais songé à ouvrir Mein Kampf!» Puis il en vient aux problèmes conjugaux et sexuels de son ami: «Il ne peut plus être question que de sentiments, de platoniques et poétiques échanges. Mais Dieu pourquoi pas! Mais si tu perds ta prostate comme elle a perdu ses ovaires tu es un sacré imbécile. Il faut faire fonctionner tout ce bazar un petit peu mon vieux – ne pas collaborer avec la vieillesse! Lutte agréable et aimable que de te faire sucer de temps en temps de temps à autre. Cette entrainée vertu et sentimentale pudeur m’est très suspecte chez toi. Tu te retires positivement des exercices érotiques sous des prétextes qui ne tiennent pas debout. Plus de simplicité! Moi je peux conseiller qui ne baise jamais sous peine d’horribles migraines! Mais tu n’en es pas là! Tu n’as pas besoin comme moi de te labourer la nénette! Quel exercice! Quel bagne! […] Et rien au tragique surtout cher vieux! Rire à ses propres dépens et le plus salubre des exercices. J’en abuse! Je peux m’en payer! Rigole du dentiste. Rigole de toi-même! La vie nous rend ridicules en tout et pour tout!»…

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 387 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 4L.A.S., [Copenhague 1948-1951?], à son ami Robert Dirler; 6pages et demie in-fol. (légères mouillures). Lettres du Danemark. [Robert Dirler était président délégué de Pathé-Cinéma avant la guerre. Lié à une Danoise, il rendra visite à Céline à Copenhague.] Le 15 [novembre 1948?]. Il a été malade... «Il gèle dans notre satané bocal! Je m’attendais à des re-barricades à Paris, mais peau de balle! la guêpe est futée! Enfin je n’y comptais pas trop – parce qu’il aurait fallu que chaque français se divisât en deux, ½ pour chaque côté. L’idéal était de gagner. [...] L’affaire ne regarde au fond que les Russes et les Américains. Ils n’ont qu’à se dérouiller sur la calotte polaire! Décalotter [...] et foutre la Paix au reste du monde! [...] En attendant je crois qu’on va me faire le coup du père François, me juger par contumax – l’un de ces matins. Il faut des exemples, des boucs, nom de Dieu! Paumé, isolé, soigneusement couché, je suis le bouc idéal. Je vais me taper 10 ou 20 ans! Et vogue Roussy! Et vogue Bergery! Chautemps! Morand! Guitry! On m’assure que Mercadier — exspeaker à Radio-Paris, belle saloperie, ex-directeur de la France de Sigmaringen (une paille!) tient table ouverte chez Lipp – sans doute jeton de toutes les polices!... n’en parlez pas – j’aurais l’air de le dénoncer! Je m’en fous pas mal. Qu’il se débrouille l’ordure – mais c’est drôle!»... 3 mai [1949]. «Ce sont des écuries d’Augias! Tout effort est vain! une merde balayée en revoici vingt brouettes! Tous ces interviews sont entièrement inventés de toutes pièces! [...] Je n’ai jamais vu, reçu, déclaré rien à aucun journaliste. Ils ont créé un fantôme Céline auquel ils attribuent toutes espèces de propos délirants, d’actes fantastiques [...] je m’en fous effroyablement. La seule chose grave dans la vie c’est la tôle [...] je déments a priori tout ce que je n’écris pas et ne signe pas – MOI-MÊME. Tout LE RESTE est bobards – divagations – stupidités – merdes oiseuses»... Le 17 [printemps1951?]. … «Puissiez-vous présager justement de l’Avenir! Quelque convulsion favorable... depuis tant d’années toutes les convulsions me sont si désastreuses que je n’ose plus y croire... Espérons. Que le pot au feu nous réunisse, au plus tôt, il est temps, avant que l’exil me fasse tout à fait crever de mélancholie»... Il aimerait le revoir avant son départ: «Venez avec votre veuve danoise, qu’on lui sèche ses larmes!»... On joint une l.a.s. de Lucette Destouches au même, 24 mars.

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 388 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 7 L.A.S. «LFC» ou «LF» (une «Louis»), [Copenhague fin 1948-début 1949], à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 21pages in-fol. Sur les réactions au Gala des vaches d’Albert Paraz… Lundi [fin novembre ou début décembre 1948]. Le Dr Clément Camus n’est pas si mal traité: «Paraz et vicieux, il se sert de moi pour triquer ses ennemis. C’est le jeu que tu connais bien. La craberie littéraire. Mais tu n’es pas touché. Si j’avais fait trop ton apologie je te compromettais, bêtement. Même tactique pour Scandale […] Ne pas te mouiller niaisement. […] Marie Justice est un méchant. Rien à faire. Tous ces gens sont de mauvaise foi, alors qu’espérer? Seul un Déluge! La clef de mon misérable sort c’est la réédition qq part… de mes livres. Monnier a l’air enthousiaste et serein. On verra. Mais j’en ai tellement vu d’enthousiastes mollir. […] Je me crève sur Féerie, mais il me faudra encore du temps, des années, si j’arrive à les vivre. Je ne tiens plus en l’air. Je suis perclu à ne pas pouvoir enfiler mon veston. […] Marie Bell menace de forcer tous les barrages et les icebergs et de venir me voir envers et contre tous mes avis»… Le 14 [décembre?]. «Après tout peut-être que ma Défense adjointe à Foudres ne ferait pas mal. Foudres tout seul est un peu mince. […] Henri Mahé aussi est furieux, charmant planqué, antisémite fulminant (en chambre) du livre de Paraz!»… Le 16 [décembre]. «Dr Camus a menacé Paraz d’aller le pourfendre dans son sana, et puis il y a renoncé. Comédie! Il ne menace pas d’aller pourfendre Sartre qui me dénonce comme agent salarié de la Gestapo depuis 4ans! M. Lecache qui demande ma tête depuis 10 ans ni les inquisiteurs, la Liste noire, la vieille fable, éternelle hélas! Bien rares sont ceux qui ne sont pas, rarissimes, au fond, du côté du loup! Toi et de trois autres, en tout! Et que de comédies, simagrées, époustoufleries, pour ne pas avouer cette vieille vérité, si simple! Ah que Popol aurait été délivré d’un gros poids si l’on nous avait pendu, moi et Le Vigan!»… Le 3 [janvier 1949]. Remerciements pour la soirée que Daragnès a passée avec Fritch [Hartvig Frisch], ministre danois de l’Instruction publique: «il s’agissait de séduire Fritch de l’amener à défendre ma cause ici, car social-démocrate sectaire d’un philosémite acharné (because situaaation) il était moins que chaud…»; c’est un spécialiste de Thucydide… Quant à la lettre À l’agité du bocal, «fais la paraître – si tu l’entends ainsi. Elle est à toi. Et les ballets itou. […] Question rédiger une autre défense. J’attends la condamnation. C’est tellement chiant ces polémiques avec ses canailles. Que cela m’embête! […] J’ai déjà tant de mal à poursuivre Féerie – m’occuper encore de ces cons ! Quelle sale corvée!»… Il évoque la «très gentille Arletty»… Le 28 [janvier]. «Que fais-tu de Scandale? Si Frémanger se comporte convenablement on pourrait peut-être lui passer? Il doit déjà m’éditer Casse-Pipe mais il faut qu’il se grouille»… Il hésite à partir pour l’Espagne: «ça sent un peu le Sigmaringen outre-monts! On n’y tend déjà beaucoup son croupion vers le prochain monarque !»… Le 5 [février]. «Évidemment c’est canailles et Cie. Ils voleront tout. Une petite confiance à Frémanger, mais je lui indique d’avoir à passer un peu à la caisse»… Le 15 [février]. Il demande des exemplaires de Foudres et flèches «pour des ploucs d’ici». Rien ne change en France: «Il faut que la secousse vienne du dehors. Alors c’est l’écroulement et l’échappée, la curée de toute la vermine!»…

Estim. 2 500 - 3 000 EUR

Lot 389 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 3 L.A.S. «LFC» (la dernière non signée), [juin-décembre 1949], à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 6½, 1½ et 1½pages in-fol. Le 25 [juin ou juillet]. Il veut rembourser Jacques Deval (1810 couronnes): «Il m’a offert très gentiment et spontanément cette somme mais précisément je veux le rembourser, de telles gentillesses valent mille fois leur prix!» Il se plaint de l’avarice de Mikkelsen, qui tourne à «l’Harpagonisme», mais reconnait qu’il lui a sauvé la vie. «Le Parquet gondole comme une vieille péniche crevée il me semble. Mais je ne vois pas d’Amnistie proche! […] Ça fait 9ans que je cavale devant la meute! Vachement fatigué! […] Ici il ne fait pas chaud. Et pas d’eau cependant. On va chercher les seaux à la mer. Tout à l’eau de mer. 40 litres d’eau douce par semaine»… Puis sur Gen Paul et ses «turlupinades […] il délire – il est plus saoul d’ingratitude que d’alcool, blanc ou rouge»… Il termine en parlant de disques de danses espagnoles, qu’il fait chercher par Bonabel et Coquillaud [Le Vigan] pour Lucette. Le 25 [juillet]. Il est «sans nouvelles de Frémanger et sans Voyage! C’est un feu! mais je n’ai rien de mieux». Il prie Daragnès de remettre à un pharmacien danois, «ami très discret [...] 100.000 francs de mon compte. Il me versera ici la contrepartie en couronnes». Jacques Deval devait venir le voir: «Oh avec Jacques Deval c’est chinois et hystérique. Il ne m’a rien écrit – et c’est tout un chichi pour toucher à Copenhague. Tu sais les gens de théâtre!»... [Décembre], sur Raoul Nordling qui vient de recevoir la médaille militaire: «C’est beau la gloire militaire Raoul! Je lui ai écrit pour le féliciter! Je lui ai dit qu’après la prochaine guerre à ce train-là il aurait la médaille militaire comme moi, comme Pétain, mais j’ai la priorité quand même. J’ai droit à son salut – nov. 1914! Il a du retard Raoul! J’ai même droit au salut de Pétain! Oh l’ivrogne il se fait plaindre partout. Il a été torturé à cause de moi»…

Estim. 1 200 - 1 500 EUR

Lot 390 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 5 L.A.S., [Klarskovgaard 1949], à Marie Bell; 10pages in-fol. Au sujet de son procès et de ses avocats. Le 5 [avril ou mai]. «Chère Marie Reçu ta lettre à l’instant! admirable amie! Rien à dire. C’est parfait. Reine de la scène et des portes capitonnées! J’apporte les situations – à toi le texte!... les répliques! l’apothéose!... ou la guillotine! […] J’applaudirai de toutes façons – pendu, décollé, ou triomphal... Je t’embrasse»… Le 25 [novembre]. «Ah ma chère Marie. Tout croule! Le Commissaire du Gt Seltensperger est dessaisi de mon dossier... “Qu’est-ce qui m’a foutu un Fouquet Tinville mou pareil! À vous Couthon! Sautez moi sur ce dossier! Et que ça saigne!...” à peu près le dialogue entre le Parquet et les “Hauts Lieux des Hurle-à-mort!” Ils ont passé mon affaire à un Commissaire coupeur de tête... un dur, un chrome! un galvanique! […] On m’a fait payer le duel Tixier, la fuite Scapini... tout! Je suis déféré paraît-il de nouveau en Cour de Justice. Ils vont me foutre au moins 20 ans! ou la totale! sur un Dossier vide remarque! sauf si on mobilise évidemment la solide phalange des faux témoins de la PP... ces vieux fonctionnaires du Crime… Je pourrais après ça bien sûr protester en “opuscule”, faire rigoler la galerie... C’est mince comme consolation. Si ton ami est bien placé comme il le dit... il verra ce qu’on peut faire... si on peut encore faire triompher une juste cause! Rigolons! Y a de l’épilepsie dans tout ça à tel point qu’aucun traitement je crois n’est possible. C’est affligeant»... Le 7 nov. 49. «Ah chère Marie chérie il était temps que tu m’écrives l’encre commence à geler par ici, j’étais en panne de te répondre! Certes je vais écrire à Maître Doublet, s’il peut qq chose... mille grâces et gratitudes... Que l’on m’en a promis des choses!... Rien n’est advenu!... Depuis 7 ans que le Poteau m’attend... Poteau-sur-Seine – pour moi la Ville... la France... Et je suis né à Courbevoie tu le sais! 1894... au mois de mai ma jolie... et grelotter à 47 ans! en Baltique. Même que Lucette plus vicieuse que moi y prend encore 2 bains par jour – à travers la glace, trésor! Le tempérament des femmes m’a toujours étonné – Quel brasier là-dedans! J’ai tout tu sais, le Cirque – La Danseuse – la Chienne – 12 chats... la Ménagerie! même un hérisson! et 30 ou 40 mésanges»... Le 2 [décembre]. «Chère Marie, bien sûr, je suis tout à fait de ton avis, il faudrait que je puisse remercier Tixier et Naud qui ne peuvent plus m’aider en rien, au contraire, dans les circonstances! Cette bonne évidence! Je voudrais tout à fait bien sûr que ton avocat prenne mon dossier en main. Je connais ton génie non seulement d’artiste mais de la vie! Je te suis aveuglément. Mais là comment sans inexcusable muflerie signifier à ces deux défenseurs, parfaitement désintéressés, que voudrais bien m’assurer désormais des soins de Me...? […] j’aimerais que cela se fasse sans heurt»... Mikkelsen (son avocat danois) ira voir Marie Bell: «Mais là aussi je suis horriblement gêné, empoté, contraint.. Je n’ai aucune action sur lui. Tu t’en doutes! Dans la misère tu sais il faut être d’une délicatesse infinie. On ne vous passe rien. Mais je t’assure que je fais l’impossible pour qu’il reprenne le train, saute (!) te voir,... et agisse. Si je ne puis le décider alors tant pis j’écrirai directement à Tixier que c’est fini... que j’ai demandé à Me... de bien vouloir m’aider»…. Le 27 [décembre]. «Ma chérie je t’envoie des bons vœux pour 50! les meilleurs du fond du cœur! Et j ‘espère que tu pries pour moi! C’est grand besoin! A l’heure où tu recevras cette lettre, ils m’auront déjà traité plus bas que terre! Ils trouvent pas beaucoup les motifs! C’est pour ça qu’ils se marrent bien! J’ai le “petit qqchose” qui plait aux bourreaux! et aux bourriques! Ils me veulent! J’ai le “flic appeal”... C’est pas encore Thermidor! Toi qu’étais si belle en costume! Ah que j’en ai perdu de l’amour, sans toi! et puis l’honneur et puis la tête! Tout y passera! Tout y passe! Mais je veux pas être montrougisé! Ça les emmerde! mort aux vaches! 14 a suffi question feux!»… On joint un «Projet de lettre pour Céline» dicté par Marie Bell, avec le double dactylographié de cette lettre (15 novembre 1949) et le double d’une autre lettre (26 novembre 1949), sur l’intervention de Maître Doublet dans le procès de Céline; Marie Bell lui suggère de renvoyer ses deux avocats. Lettres à Marie Bell (Du Lérot), nos 13, 14, 15, 16, 17; et 14bis et 15bis.

Estim. 2 000 - 2 500 EUR

Lot 391 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 3L.A.S., Klarslovgaard 1950, à Marie Bell; 5pages in-fol. Le 4 [janvier]. «Ma chère Marie – un bon ami, très sûr et très discret, Pierre Monnier, revient à l’instant, de nous voir... Veux-tu le recevoir?... Le mettre en contact avec ton avocat ami?»... Le 7 [janvier]. «Eh bien ma Bell tu es joliment méchante et vilainement rancuneuse! tu as eu sans doute raison dans tes conseils et présages! – Certes dans quels draps pas beaux! atroces me suis-je enseveli! momie positivement! Et dont tout le monde se fout! Mais est-ce une raison? “Je crains votre silence!...” Sociétaire! t’es plus pote alors? Je t’écœure? Oh je te demande rien tu le sais tu me connais – Un petit bonjour, c’est tout et pour toi une bonne vache magnifique année! tout de même t’es méchante je m’en doutais»… Le 4 [octobre?]. «Que de temps sans nouvelles! Comment s’est passé l’Été? De notre côté ce ne fut pas brillant... Lucette opérée etc. […] Enfin assez de gémir! Voilà l’hiver à présent et il est pas drôle par ici, tu le sais! le septième loin de chez nous! Et sans illusions quant au reste! Mayer est assis sur mon dossier tu penses et voudrait que je me tasse un an à Fresnes – après les 15 mois de réclusion d’ici, plus 7 ans d’exil! Et pour des prunes! Tu vois j’ai l’air exagéré dans ma personne et mes propos, je suis bien modeste au contraire. C’est mon vache Destin et mes dégueulasses contemporains qui sont tout dingues et dingues méchants! Ils me feront crever tu sais Marie... le plus lâchement du monde»... Lettres à Marie Bell (Du Lérot), nos 18, 19, 20.

Estim. 1 200 - 1 500 EUR

Lot 392 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 9L.A.S. «LF» ou «LFC» (une «LFCéline»), [Korsør janvier-février 1950], à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 35pages in-fol. Longues lettres avant son procès (21 février). Le 3 [janvier]. «Oh oui mon cher vieux, ça pue. Le Drappier [magistrat] est en train de me fignoler une corde à nœud express, où je serai pendu dans le plus grand silence. Ça ne m’avancera guère hélas de raller après, le mal sera fait, et à mon âge et dans mon état, définitif. […] C’est du procès Dreyfus en Samedi-Soir? Pas un mot de vrai! Des énormités burlesques à flatter les chacals! C’est moi qui ai fait anéantir St Malo imagine!»… Il parle de ses séjours à Saint-Malo et à Rennes, où sa fille est née… Il y a «surtout haine littéraire» contre lui, notamment de Mauriac, «un “mauvais prêtre” un “rongé pédé qui n’a jamais osé”», et de Mac Orlan, collaborateur de la Continentale… «Il faut quand même un empalé dans la Littérature. Ça sera moi. Après tout le monde respirera !»… Le 16 [janvier]. «Eh bien mon vieux ton papier [témoignage à décharge de Daragnès] est joliment admirable je savais que tu étais un sacré artiste mais là tu me fous en statue de quoi faire crever toute la maison de la culture! et d’un seul jet en bronze!» Il faut le faire copier et diffuser… «Le malheur c’est que ça va aussi faire grésiller la haine de mes chacals de façon atomique! Le Drappier il va flancher il va me PoncePilater et d’une façon ou l’autre. La peur des cocos pétrifie les bourgeois et leurs magistrats. Ils sont devant l’Humanité comme le lapin devant le Python. Ils attendent d’être bouffés vifs»… Le 23 [janvier]. «Il s’agit bien d’une condamnation sur ordre – donc rien à chiquer. […] Je vais recevoir ce Réquisitoire et y répondre […] mais ça ne changera rien. Il se raccrochent à des poils de cul imaginaires de crimes. J’ai mille fois répondu à Seltensperger et il avait conseillé un non lieu. Il a fallu qu’il se désiste… Les youtrons engagés, les industriels de l’Épuration ne me lâcheront jamais. Enfin on peut essayer de les emmerder c’est tout»… Le 30 [janvier]. «La campagne d’infamies donne à plein! Tous les chacals sont aux abois!» Réaction à un article de Roger Vailland, qui déplore «de ne m’avoir point abattu dans mon escalier – sans autre forme de procès – de sa justice à lui, au-dessus des Lois. Il se promet de faire mieux la prochaine fois. Il l’écrit. C’est de la Provocation au meurtre»… Il dément le témoignage de Vailland, n’ayant jamais reçu chez lui les journalistes (Laubreaux, Brasillach, Cousteau…) de Je suis partout… Le 4 [février]. «Ton plan de déposition me paraît excellent mais peut-être un peu idéologique – veux-tu ajouter que je suis un patriote français pacifiste. Que la guerre pour moi est la plus horrible des catastrophes. Que je pensais que les juifs, certains publicistes juifs, nous lançaient dans la guerre, et que j’ai réagi à ma manière, outrancière, burlesque – mais je n’ai jamais empêché personne de me répondre de la même encre que je déconnais. Je n’écris pas d’Évangile! Je n’ai réclamé la mort d’aucun juif – j’ai demandé à ce qu’ils tempèrent leur hystérie et ne nous lancent pas dans une guerre que je jugeais perdue d’avance, et qui serait pour la France l’anéantissement final. […] Ai-je deux Patries comme les Juifs? […] Je ne m’occupe que la France Patriote Patriote Patriote pacifiste français – C’est tout absolument tout. Je me foutais d’Hitler comme de Blum. […] Je suis du Pays de Couperin, de Vallès – pas du tout germanisant oh la la l’horreur!»… Etc. Vendredi 10 [février]. Il va rectifier sa défense selon les indications de Me Naud, et faire établir un certificat médical. Il donne des précisions sur son travail au dispensaire de Bezons, corvée éreintante et mal payée; il n’a jamais voulu prendre la place du Dr Hogarth, c’est ce dernier qui voulait partir… Le 11 [février]. Il faut absolument que Lemaître vienne témoigner qu’il «m’a vu et écouté insulté des médecins collaborateurs»… Le 14 [février]. «La marmite est en train de bouillir où l’on va me précipiter le 21. Tous les “Ingrats d’Hitler” qui ne seraient rien, qui n’auraient jamais rien été, sans la venue de ce fou walkhérien, les bâtisseurs, fournisseurs, les 20 millions de collaborateurs réels ceux-là, peu ou prou, cul terreux à lessiveuses, préfets de la Résistance et autres Farges Vercors et consorts, il la leur faut ma carne ma dépouille pour faire passer la monstrueuse muscade: d’eux rien du tout petits merdeux devenus par la grâce d’Hitler, d’immenses héros, artistissimes patriotissimes!»… Etc. Le 16 [février]. «De quoi s’agit-il en définitive? de savoir si j’ai collaboré? Il ne faut pas se laisser

Estim. 4 000 - 5 000 EUR

Lot 393 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 7L.A.S. «LF» ou «LFC», [Korsør février-mars 1950], à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 23pages in-fol. Réaction et commentaires après sa condamnation. [Le 21 février, Céline est condamné par contumace à un an de prison, 50.000F d’amende, la dégradation et l’indignité nationales, la confiscation de la moitié de ses biens.] Le 24 [février]. «Tout n’est pas dit encore. Peut-être Naud pourra-t-il atténuer un peu, faire atténuer les conséquences de cette capilotade. Vous avez été tous véritablement admirables! C’était jouer de la trompette devant un mur. Et celui-là quand même s’est un peu fendu. C’est miracle. Oh je m’attendais à bien pire»... Mais il hésite à rentrer en France… Le 27 [février]. «On aurait pu respirer, tant d’amitiés, de bravoure, de génie, à ma défense, de tant d’amis, et surtout de ta part méritaient un peu de résultat… Hélas! la meute des communistes d’ici relancée par Paris déclenche une autre campagne furieuse pour qu’on m’expulse – ce qui veut dire en clair, dans l’état où je me trouve, condamné à un an: Fresnes, dès la frontière»… Le 1 mars. Projet d’une «petite brochure sans aucun blabla. Résumé officiel de l’Affaire Céline accusations défenses verdict», avec l’image du cuirassier… Le 5 [mars]. «La presse dans l’ensemble a été haineuse et venimeuse et prometteuse d’assassinat. Je m’y attendais»… Il raconte longuement son arrestation et son emprisonnement au Danemark, et il se plaint de son avocat Mikkelsen et de Marcel Aymé: «il me fait un petit peu chier Marcel à faire la petite moue, lui qui me désignait absolument aux assassins en 44! pour sauver ses fefesses! Pas de salades! J’ai la bonne mémoire d’éléphant! Il est resté comme tous les autres roublards dans ses chancelières lui! C’est moi qui saigne – pour tout le monde est et c’est pas fini hélas!»… Le 6 [mars]. «Voilà 5 ans ce jour que ma pauvre mère mourait à Paris de chagrin, seule et aveugle, et dans quelle ambiance! […] C’était une très vieille parisienne, née Rue aux ours – ouvrière dentellière – un martyr – toute sa vie!» Il n’a toujours pas reçu le jugement: «ça traine traine traine» Il demande à Daragnès de venir en auto avec Maître Naud… Le 7 [mars]. «Tu m’épouvantes, tu nous épouvantes avec même la vague perspective d’avoir à comparaître devant une Cour! Oh mille morts plutôt et tout de suite! Nous remettre dans un piège après avoir laissé les ¾ de notre misérable vie (et au prix de quels supplices) à dérouter les chacals! […] J’aime mieux endurer ici tout le désagrément possible (si on ne me chasse pas) que de me revoir en France entre deux flics!»… Il est question d’obtenir une «équivalence» concernant sa détention au Danemark. Le 21 [mars]. Il va faire faire des tapis par la fille du métayer pour Daragnès et Naud, bien que «le folklore artistique artisanal danois existe pas c’est une nation de ploucs stricts». Il n’a toujours pas reçu copie de son jugement: «Sabotage bien sûr, gniangnianterie voulue des bureaux Vendôme, et des bureaux d’Ici! Si palestiniens! et de Mik! si palestinophile! résistanophile!»…

Estim. 3 000 - 3 500 EUR

Lot 394 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 11L.A.S. «LF» ou «LFC», [Korsør et Copenhague mai-juin 1950], à son ami l’éditeur Jean-Gabriel Daragnès; 24pages in-fol. Sur la maladie, l’hospitalisation et l’opération de sa femme. [Le 16 mai, Lucette est hospitalisée à Copenhague; elle sera opérée d’un fibrome le 19 mai, puis le 8 juin.] Le 5 [mai]. «Voici brusquement que je suis tout à fait alarmé avec la santé de Lucette. Elle si saine, si vivante, si athlétique je lui vois du côté de la gynécologie un petit symptôme qui, en médecin, m’alarme vivement. Si dans trois jours tout n’est pas apaisé je l’enverrai par le train à Paris» pour se faire examiner par un chirurgien ami, le Dr Tailhefer. «Je veux être fixé. Tu as idée comme je suis inquiet. […] Cela me tombe comme la foudre – comme toutes les saloperies!»… Le 6. «Nous renonçons pour le moment à Paris. Lucette a trop peur de me laisser seule ici. Elle ira donc à Copenhague lundi se faire examiner. Je la rejoindrai si une gravité se confirme»… Le 8. Lucette a un kyste à l’ovaire; Céline habitera à Copenhague chez Mikkelsen tant qu’elle sera hospitalisée. Le 9. «On est en train de devenir recordmans de malheurs! Ça deviendrait drôle si c’était pas Lucette! Pauvre chose! Enfin je vais pas la quitter d’une seconde»… Le 10. «Lucette entrera le 17 à l’Hôpital Genthof Syehus de Copenhague pour y être opérée. Nous serons en ville le 16. Je demeurerai chez Mik […] Oh tu sais on a une telle habitude de l’Horreur que c’est un acte de plus. Mais il est moche parce que c’est Lucette. J’aimerais mieux moi»… Le 11. «J’ai renoncé à la faire opérer à Paris. Tu me vois à Fresnes et elle en chirurgie. C’était folie»… Samedi [20]. «Tout va bien. Lucette a été opérée hier matin. Kyste fibreux pédiculé […] Sans gravité, pronostic très favorable. Elle sera comme avant mieux qu’avant, rien à redouter. La première bonne nouvelle que nous avons depuis 10 ans! Quelle miraculeuse chance!»… Le 21. «Je t’écris de l’Hôpital c’est-à-dire de la chambre de Lucette. Dieu qu’elle souffre!! Ils ont inventé à présent le système du lever post-opératoire précoce c’est-à-dire tout de suite le lendemain de l’opération. Elle parcourt déjà 100 mètres à pied avec l’infirmière. Tu sais comme elle est vaillante et peu plaignante mais Dieu c’est atroce […] Je suis un médecin de cette espèce qui endormirait bien volontiers tous les nourrissons par horreur de la souffrance qui les attend. […] Nous avons tous les trois Bébert Lucette et moi formé une sorte de “cellule” de Montmartre qui persiste, à travers horreurs sans nombre et douleurs infinies, et si variées!»… 1er juin. «Lucette va mieux. Cet avatar d’abcès sur suture créé par le lever précoce etc. a l’air d’évoluer bien. Pas de fièvre». Il demande un peignoir de bain pour Lucette… Dimanche 11. «Ma pauvre Lucette va un peu mieux ce matin. […] Monnier est un brave ami sur lequel on peut compter je pense. Il fait merveille en somme, avec ces éléments misérables! Quant à Frémanger c’est un sale petit coquin qui réussira bien sûr. C’est toujours facile de dépouiller les malades, d’achever les mourants. […] Oui si on s’en sort on rentrera en France! Oh plus d’exil! On peut plus. Vive le Père-Lachaise!»… Vendredi [23]. «Lucette va nettement mieux. Mais ce n’est pas encore la course à pied il s’en faut. Enfin le cauchemar s’éloigne un peu. Elle sortira de l’hôpital dans une huitaine. […] Nous retournerons à Korsør dans une dizaine de jours. […] Tu parles de migraines ah la la! Voilà 20 ans que je les cultive! (comme ma mère). Pas grand chose à faire – sinon le repos du cerveau et fuir les assemblées bruyantes, les foules etc. les conversations nerveuses. Précisément moi c’est mon furieux tapin qui me fout de migraines atroces. Je n’avance qu’à coups de migraines. Alors tu comprends que j’aille au boulot comme une bourrique triquée – mais il le faut. Je vais m’y refoutre dès Korsør retrouvé c’est-à-dire dans une huitaine. Oh je ne suis pas prêt à livrer rien au public avant un an, et encore avec énormément de forcerie! Je ne suis pas styliste tu sais – c’est ingrat et peu payant. À ce propos, j’ai peur avec Féerie de sauter vachement à la corde avec les mille et une oppositions amendes jugement qui m’écrasent… On verra mais je ne donnerai certainement rien sans une très forte avance. Ma vanité littéraire est absolument nulle voir mon nom dans un cancan est un supplice – alors cash ou balpeau!»… Suivent des conseils médicaux…

Estim. 4 000 - 5 000 EUR

Lot 395 - Louis-Ferdinand CÉLINE. 4 L.A.S. «LF», [Korsør 1950], à Robert Le Vigan; 9pages in-fol. Correspondance inédite entre les deux exilés, l’écrivain et le génial acteur. [Robert Coquillaud, dit Le Vigan (1900-1972) avait suivi à Sigmaringen Céline, qui l’immortalisera sous le surnom de «La Vigue» dans Nord. Arrêté en 1945 à Feldkirch, incarcéré à Fresnes, il fut condamné en 1946 à dix ans de travaux forcés, l’indignité nationale et la confiscation de ses biens. Malade, il bénéficia d’une libération conditionnelle en octobre 1948, et s’exila en Espagne puis en Argentine au début de septembre 1950.] Le 24 [juin?, note de Le Vigan au crayon: «reçue en Juillet 50 en Espagne»]. «Te voilà foutu le camp aux Amériques! Tu as raison! on se reverra sans doute jamais! Je bidonne en parlant d’Angleterre on a en réalité aucune chance – pour nulle part – ici on est au piège. Les Russes monteront par l’Elbe et tout sera cuit en 3heures! Quant aux gens de l’Ambassade anglaise ils seront tirés en avion et Mikkelsen avec! Et puis ils m’auront déjà donné aux communistes locaux. Ça doit être déjà fait. Tu connais le scénario. On se finira sec – soi-même. Plus bon pour les cages! Et bon débarras merde merde!»… Le 1 [juillet]. Retour à la maison après 6 semaines d’hôpital à Copenhague: «Le Sensationalisme pourrit aussi la médecine! et la chirurgie. Faire lever les opérés du billard, même jouer au ballon!». Toujours inquiet pour la santé de Lucette, et soucis d’argent. Les dures conditions de vie dans cet «archi bled»… «Je fonce en plus dans mon roman pour essayer de trouver des ronds – tu peux dire que je suis surmené – je travaille comme 10! avec ce qui me reste de validité! 25 p 100! […] Tu parles si je me fous de la Corée, de la guerre et Patachon! Soucis de luxe mon fils! les idées politiques c’est pour les gens désœuvrés. Moi si on veut me tuer faut pas qu’on se gêne! J’aurais trimé comme une archi bourrique jusque dans la mort! […] Merde pour la Corée! on est trop misérables pour les grandes idées. Je sais bien qu’ils sont tous assassins – c’est pas d’hier! c’est fastidieux. Si y a re-St Barthélemy – on sera les premiers empalés encore»… Le 1 [octobre?]. [note au crayon: «1ère lettre en Argentine».] «Fiston, on a fait mille vaches prières pour que t’arrives aux Canaries! Oh je les connais. J’y fus souvent en mon temps SDN. […] Mon retour en France! Dis! Sur vingt millions de cadavres oui, peut-être, pas avant fils!» Il charge Le Vigan en Argentine de saluer le Dr Soupault, et de retrouver «un Professeur Zwanck – schmout argentin – que j’ai promené à travers le monde»… Le 15 [automne?]. «C’est la folie et le ridicule qui mène le monde. […] La guerre générale? hum! et hum! Nous la désirons bien sûr passionnément et honteusement. Nous tous les désespérés, blindés de haine. Bien sûr! C’est affaire entre fous d’Est et d’ouest. Qu’ils s’entrassassinent […] Ça sera le déchaînement des fous les plus sadiques – partout. […] Il s’agit de filer le train des fous les plus astucieux – les plus pervers – c’est tout, si l’on peut! Oh pas par désir de survivre merde! pour l’amusement, le sport! enfin! on a assez trinqué des tonnes de fiel! de la sincérité! archimerde! Oh j’ai pas d’espoir! moins que personne! […] On a une cahute un peu glacée, mais une cahute – on ne voit strictement jamais personne, où nous sommes! On ne parle pas un mot de danois! On est déjà comme morts en somme. La santé de Lucette m’inquiète, celle de Bébert aussi – on est venus tous les trois – on repartira tous les trois – on a probablement assez voyagé! […] Le fait est qu’on m’a volé le Voyage. 20000 tirés l’année dernière. Pas un sou de touché! […] Carambouille totale. Aucun recours. Je suis hors la Loi! et le fisc m’attend avec 3 millions d’impôts et d’arriérés plus saisie de tout!»…

Estim. 2 000 - 2 500 EUR