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lundi 17 juin à : 14:00 (CEST)

Collection Brigitte et Roland Broca : lettres et manuscrits autographes, partie I, lots 1 à 295

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3, rue Favart 75002 Paris, France
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295 résultats

Lot 3 - Hans BELLMER (1902-1975). L.A.S., Castres 25 mars 1946, à un «très cher ami»; 2pages in-4. Intéressante lettre sur Jean Cocteau et sur Sade. Il craint d’avoir un peu froissé Cocteau, en l’interrogeant sur les «conditions de la collaboration proposé (ballet: La Fille de l’air), tout en ne lui cachant pas l’estime que je porte à Péret et Breton». Il prie son ami d’écrire à Cocteau «que je pense au projet ballet avec un très vrai enthousiasme», et qu’il lui porte «une affection “instructive” […] que je suis incapable par exemple de porter à Michaux, à Char»… Il ne faut pas oublier que «Cocteau représente un peu “l’écume” de notre époque, victime et profiteur à la fois. Le sachant il reste charmant». Mais Bellmer s’interroge sur la notoriété future de Cocteau, dans cent ans: «Moi, je crois qu’Oscar Wilde […] dépassera toujours Cocteau. Oscar Wilde ressemble infiniment plus à Sade qu’à Cocteau (Cocteau nie d’ailleurs le poids poétique du Marquis de Sade, entièrement)»… Il raconte ensuite l’étonnante histoire du manuscrit des 120 Journées de Sodome de Sade, qui avait été prêté avant la guerre par le comte de Noailles à «un écrivain des amis de Cocteau» [Jean Desbordes], auteur du Vrai visage du marquis de Sade; Desbordes, arrêté par la Gestapo, est mort sous la torture. Le manuscrit a disparu, et reste toujours introuvable malgré les recherches effectuées par le comte de Noailles dans les archives de la Gestapo… Puis Bellmer revient à sa vie «impossible»: il attend que sa femme demande le divorce elle-même et «décampe»… Il revient sur l’idée d’un portrait que son ami pourrait proposer au journal Le Matin, et lui donne quelques idées d’angle d’attaque: «Si l’on supposait que j’ai fait deux personnages: 1) La mineure et 2) moi»…

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 4 - Hans BELLMER (1902-1975) L.A.S., Castres 18 mai 1946, [à Joe Bousquet]; 2pages in-4. Lettre désespérée, notamment sur son divorce et l’incompréhension morale qui entoure son travail sur la Poupée. Il est très inquiet de ne pas avoir de nouvelles de Bousquet, «las de mon désespoir, de mes appels de naufrage? […] – J’ai peur! – Toutes mes forces de création commencent à m’abandonner, mon système nerveux, ma résistance s’usent à une allure terrifiante. Il faut que je tranche, d’urgence, ce nœud de serpents, sinon j’y laisse ma vie. Mais quelle source de chicanes, d’horreur, de boue: le divorce avec, comme adversaire une canaille de la trempe de mon “épouse”». Celle-ci l’attaque «naturellement et essentiellement sur le plan moral: ma “perversité” et mon “scandaleux”. […] Je ne suis ni d’un comportement “scandaleux” ni un “pervers”. Je suis le contraire. […] à tel point que sous forme de révolte, d’anti-obscurantisme etc. les éléments scandaleux et pervers rentrent dans ma production comme son moteur le plus efficace, presque comme un moteur unique»… Puis il parle des «lettres d’amour», contenant des «sous-entendus d’ordre érotique» qu’il a envoyées trop imprudemment, et qui pourraient être des pièges… Comment peut-il se sauver? Il faut préserver de l’enfer qu’il vit «l’ensemble essentiel: ma vie, ce qui me reste encore à faire, à créer»… Il commence à évacuer ses affaires, mais cela prend du temps. «– Et mes eaux-fortes? – Et les documents, les témoignages à réunir pour l’avocat! – L’argent à gagner!»…

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 25 - Émile GALLÉ (1846-1904). L.A.S., Nancy 9 février 1899, à un «cher ami et Maître»; 4 pages in-8. Sur le théâtre à Nancy, et sur la politique. Il a fait de son mieux «pour défendre auprès du maire de Nancy et de nos amis, la cause d’ailleurs excellente de M. Brousseau», et se réjouit «comme tous les fervents de l’art ici, qu’elle l’ait emporté. Nous attendons beaucoup de lui pour la rentrée à Nancy de grandes œuvres proscrites en faveur de plaisirs idiots. Il est honteux pour une ville comme celle-ci qu’il faille aller à Paris ou passer la frontière pour entendre du Racine, du Molière, du Dumas, du Shakespeare, du Glück, du Weber; la plupart des chefs d’œuvre dramatiques et lyriques de la scène sont inconnus à Nancy». Il mentionne tout de même les excellents Concerts populaires dont ils bénéficient grâce à Guy Ropartz… Il parle longuement de l’état misérable de la société «sans humanité et sans justice […], sans vergogne, sans intelligence et sans courage»… Il dévie ensuite vers la politique, et s’indigne de la venue pour une conférence d’André Lebon à la Ligue de l’enseignement civique et républicain, dont un article devrait rappeler «ce personnage au souvenir des illégalités et des atrocités qu’il a commises», au ministère Méline et concernant l’Île du Diable [allusion à Dreyfus]… Il critique enfin les classes gouvernantes et l’armée, l’inégalité de la société, et revient sur ses engagements, notamment sur son adhésion à l’Union «de toute mon âme»… Etc.

Estim. 700 - 800 EUR

Lot 26 - Émile GALLÉ (1846-1904). 2 manuscrits autographes (dont un signé) avec dessins, 1900; demi-page in-4 sur papier jaune, et 2pages et demie oblong in-4. 28 août 1900, note pour un projet de vase, avec dessin, signée «Emile Gallé»: «1 cornet en f[or]me de tube ou corolle trilobée avec 3 folioles caliginales en verre contourné […] Effets de soir. Marqueterie rameaux d’orobranche en verres polychromes gravés»… Dessin à la plume du vase dans la marge. Notes et brouillons, pour ses travaux sur les orchidées de Lorraine [il a notamment publié «Orchidées lorraines: formes nouvelles et polymorphisme de l’Aceras hircina», dans les Comptes rendus du Congrès international de botanique de 1900], avec de nombreuses ratures et corrections. Étude morphologique des fleurs de différentes orchidées (principalement purpurea, mais aussi militaris, intermedia, simia, anthropophora) et de leur labelle (pétale médian dont la fonction est d’attirer l’insecte pollinisateur), avec une quinzaine de dessins représentant diverses formes et tailles des labelles, annotés «trop gros», «trop grand», accompagnés de descriptions précises et de commentaires sur les variations de forme et la teinte des lobes. «L’influence d’un militaris ou d’un simia-militaris sur la forme du labelle est faible mais elle seule peut expliquer ces déformations, à moins qu’on veuille retrouver dans le labelle certains carac. de l’O. antropophora. Je ne crois pas à son inflce dans ce cas». Il se réfère à de récents travaux, notamment ceux de botanistes allemands. Il s’intéresse aussi au système de fécondation par les lépidoptères et au système de reproduction par ovaires… Etc. Et il signe «Triangularis».

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 27 - Paul GAUGUIN (1848-1903). L.A.S., [Tahiti] novembre 1891, à Paul Sérusier; 3pages et demie in-4 (fentes aux plis très bien réparées). Très belle lettre sur son travail lors de son premier séjour à Tahiti. Les lettres de son «cher Séruse» lui font plaisir dans sa solitude et il s’inquiète de n’avoir pas de nouvelles de «Morisse» [Charles Morice] depuis qu’il a quitté Paris, en lui laissant «le soin de mes affaires pendantes. 500f que je lui avais prêté», plus 300F que Jean Dolent devait donner pour le tableau qui était chez le père Tanguy. Plus les affaires chez Goupil et chez Portier... Ces inquiétudes le «gênent pour travailler Quoique cela, je suis attelé au travail dur et ferme. Je ne puis dire si c’est bien car c’est beaucoup et ce n’est rien. Pas encore un tableau – mais une foule de recherches qui peuvent être fructueuses, beaucoup de documents qui me serviront je l’espère pour longtemps en France. Par exemple à force de simplifier je ne puis bien juger le résultat maintenant. Il me semble que c’est dégoûtant. À mon retour toiles bien sèches des cadres etc… tous vêtements qui parleront et je jugerai». Il se plaint de sa solitude «à 45 kilomètres de la ville, personne à qui causer art, ni même français»; il essaie difficilement d’apprendre la langue du pays: «Que voulez-vous pas de mémoire et surtout la tête toujours ailleurs perdue en rêveries sans fin». Il y a eu des changements dans sa vie, «dans mes affaires et mes espérances. Le roi [Pomaré V] est mort, ce qui a été un désastre pour moi. Avec lui qui m’avait déjà pris en affection j’avais tout, argent et influence sur les naturels. Lui mort la colonie a changé en tout et pour tout et moi Je perds considérablement. Ah! Si je savais encore torcher un tableau trompe l’œil comme les américains, je trouverais peut-être à vendre quelques toiles à bon prix mais je suis et sais faire ce que vous savez». Il demande des nouvelles de Meyer [Meyer de Haan] et parle des travaux de Sérusier: «Vous êtes bien aimable de mettre sur mon dos vos progrès intellectuels; j’en ai peut-être une petite part», mais il est convaincu que «les artistes ne font que ce qui est bien en eux. Les graines ne viennent qu’en terrain propice». Gauguin aimerait enfin avoir des nouvelles, notamment de l’exposition du Champ de Mars: «ma sculpture y-a-t-elle figuré et faisait-elle bon effet.» Il a eu la «bonne idée d’emporter musique et mandoline, c’est pour moi une grande distraction. C’est à Filliger [Charles Filiger] que je dois cette idée de jouer cet instrument. Je crois que maintenant je dépasse Filliger haut la main comme virtuosité»…

Estim. 12 000 - 15 000 EUR

Lot 45 - Georges ROCHEGROSSE (1859-1938). 27 L.A.S., [vers 1898]-1900 et 1921-1924, à Jérôme Doucet; 60 pages in-8 ou in-12. Intéressante correspondance sur son travail de peintre et d’illustrateur. [Jérôme Doucet (1865-1957), écrivain et journaliste, était aussi bibliophile; il a dirigé la société Le Livre et l’Estampe.] De nombreuses lettres concernent l’illustration de Salammbô de Flaubert (Ferroud, 1900), et l’ouvrage de Jérôme Doucet, Trois légendes d’or, d’argent et de cuivre: Sainte Marie l’Égyptienne, le Beau Visage de la Mort, l’Âme du Samovar (Ferroud, 1901). De Tunis, il se réjouit de faire cette illustration: «je vois cela très, très travaillé et je sais que cela me demandera beaucoup de travail et de… temps»; il va avoir «beaucoup d’ouvrage non pour Salambô que je ne livre que dans 2 ans» mais pour des choses qu’il a dû lâcher pour partir, et voudrait s’entendre avec Doucet sur le prix. Il le tient au courant de son travail; frontispice, lettres ornées, culs de lampe; il envoie ses dessins à René Baschet dont il attend en retour des épreuves pour les colorier: «Je ne puis faire les coloriages sur les dessins, l’encre de Chine ne peut supporter l’aquarelle qu’au moins 1 an et demi ou deux ans après avoir été employée». S’il est en retard «c’est la faute de Flaubert qui a fait passer Salambô en Afrique .[…] et que je trime depuis le matin jusqu’au soir à faire des armures au soleil – ce qui me met du reste les yeux en capilotade»; le soir il est «trop éreinté pour travailler beaucoup à une chose aussi délicate que les dessins de la Morobovisage»… Il regrette de ne pouvoir illustrer ce bijou qu’est La Chanson des Gens dont les vers ciselés demandent une illustration très travaillée; il réserve son temps «pour faire bien la Mort au Beau Visage et l’autre»… Il félicite Doucet pour Sextine «mais nul tuyau sur Sanart Bernah (si j’ose m’exprimer ainsi). Connais trop peu Clairin pour recommandation efficace. Vous savez j’ai commencé Mage au beau Visort, enfin!» Il ne sait «pas quoi faire dans la lettre ornée du chap. II de “La Mort” [...] Je ne vois rien de “dessinable”», ni pour le dernier chapitre «réservant le veilleur de nuit pour le cul de lampe terminal»… Pour la légende de cuivre, il aimerait «quelque chose de très moderne, très mines de cuivre et très “machines” avec au travers passant des petits kobolds, personnes adonnées aux Mines, comme vous le savez, et très farces dans leur aspect». Il attenddes renseignements «sur les mines de cuivre de la Sibérie, que j’ignore de la façon la plus éclatante». À propos des grands luxes des Légendes, «je ne demande pas mieux que de vous faire des croquis aquarellés», mot qu’il préfère sur le prospectus à aquarelles «qui me paraît trop “gros” pour le prix étant donné les 1000 frs des exemplaires grand luxe de Salambô». Il fait une commande de papiers peints pour son appartement. Il a fini Le Sphinx et Meloenis: «Je l’ai supposée éclairée par des lampes posées par terre comme les danseuses flamenco». Après la mort de sa femme (1920), il signe en ajoutant l’initiale de son nom Marie; les lettres sont écrites de Djenam Meryem. 21 février 1921: de tous les deuils, «la perte de sa femme, quand on en a une vraie, c’est vraiment monstrueux contre nature […] j’ai absolument la sensation de l’amputation … et d’une blessure qui jamais, jamais ne se refermera». Pour obéir au vœu de la morte, il continue à travailler et est prêt à faire ce que lui demande Doucet «mais je vous ferai les aquarelles un bon tiers plus grand; vous en aurez ainsi le placement plus facile». 7 mars: il préfère ne pas «discutailler par lettre» d’histoires de sous, et le verra à Paris en mai. 11 octobre: il regrette de n’avoir pu le rencontrer à Paris, mais a fui «cette fosse à purin morale et physique»; il va faire l’aquarelle mais voudrait qu’il lui en laisse la propriété. 10 mars 1924: très ému par la dédicace du livre et par «la charmante œuvre d’art qu’est le livre en lui-même»…

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 48 - Félicien ROPS (1833-1898). 2 L.A.S. avec dessins, à Edmond Haraucourt; 3pages et 1page et demie in-8. Paris mardi 19. Son marchand de gravures lui ayant fait faux bond, il demande à son ami, «devenu un de nos gros capitalistes», de lui prêter 600 francs: «au début d’avril j’ai de sérieuses rentrées, & je te rendrai le capital, & les intérêts en épreuves inédites!» Il signe «Fély», et dessine, sur la double page intérieure, une «chandelle brûlant par les deux bouts avec la devise Vita per ignem!», et une deuxième d’une «forme plus héraldique & chaudepissarde!» Mardi. Il est en retard: «J’attendais des fonds, “des pépettes” comme nous disions, nous gens de guerre, – en Belgique. Et maintenant, voilà qu’il arrive un accroc à la planche de Guiches! [pour La pudeur de Sodome 1888?] Et il faut la réparer! Peux pas laisser ce malheureux Guiches avec sa planche inutile! Mais cela sera fini demain soir, sans faute! Donc Jeudi – Enfin! Enfin!!!!!» Il pourra le rejoindre à Contrexéville. Il se dessine assis à sa table de travail, vu de dos, avec la légende:«Rops réparant la planche de Guiches» et termine ainsi sa lettre: «Con de Rex de Ville que tu es!!! Tu me rends gâteux!!» On joint 2 dessins à la plume (1page oblong in-8 chaque, fentes au pli): un cycliste sur un vélocipède à grandes roues, légendé: «Ne l’oubliez pas»; et «La Muse S.B.[Sarah Bernhardt] couronnant la Vélopoésie. Nous vous attendons samedi matin».

Estim. 1 200 - 1 500 EUR

Lot 51 - Carlos SCHWABE (1866-1926). 5 L.A.S., Barbizon [vers 1895-1896], à Jérôme Doucet; 16 pages in-8. Mercredi. N’ayant pu trouver de quoi emballer les encadrements qu’il devait lui envoyer, voilà Doucet «obligé de venir casser la croûte avec nous plus tôt que prévu»… – Samedi. Il a expédié une caisse avec 4 encadrements. «Je veux absolument 30 épreuves de chacun de ces encadrements car ils sont très beaux et comme vous les avez pour presque rien», il espère qu’il lui accordera cette légitime demande: «80 sur japon et 10 sur Watmann». Il remercie Doucet pour son délicieux papier bien qu’il ait été surpris de ne pas y trouver «les épreuves de la première de mes planches». Il ne faut pour rien au monde consentir «à la diminution de ces quatre encadrements, car je veux absolument que la décoration déborde sur la marge». Il l’avertit que s’il lui apporte d’autres dessins de ce genre à faire, il refusera catégoriquement: «c’est trop dur à faire – il m’a fallu me casser le crâne pendant des journées avant de pouvoir me mettre à dessiner»… – Mercredi. Deux dessins sont abîmés: «Le pot au feu et Les Dents. […] Ce sont de petites taches brun pâle qui n’abîment pas la pureté du trait, mais qui abimeront complètement l’aquarelle». Il faut les confier à un spécialiste. Il prie Doucet de lui envoyer la petite somme convenue, car il a 400 à 600 francs de retard. Il va écrire «quelques notes sur moi et je vous enverrai en même temps deux articles parus sur moi cette année»… – Dimanche. Il est très pressé pour le Champ de Mars, «et immédiatement après avoir livré, je dois me mettre à une série pour des amateurs de Lyon: donc beaucoup de besogne sur l’établit»… – Lundi. Il aimerait pouvoir enfin toucher la petite somme, qui a plus d’un mois de retard. De plus, il n’est pas content, car deux dessins lui sont revenus couverts de petites taches. «Dans votre intérêt, je dois vous dire que si je suis obligé d’aquareller là-dessus, ces dessins perdront la moitié de leur valeur. Souvenez-vous que plus tard, vous pourrez vendre ces pages à un très haut prix – je dis bien très haut: Holbein et Dürer sont les seuls ayant pu faire des décorations aussi belles (cela sans faveur). Donc, arrangez-vous avec le graveur, mais j’en suis dégoûté de ce manque d’attention»…

Estim. 1 500 - 2 000 EUR

Lot 58 - Alfred BRUNEAU (1857-1934). 30 L.A.S., 1889-1896, à Louis Gallet; 36pages formats divers, quelques en-têtes (Choudens, Hôtel Mathis à Londres, Hôtel de la Poste à Bruxelles), quelques adresses. Au librettiste de ses opéras d’après Émile Zola: Le Rêve et L’Attaque du Moulin. On voit Bruneau travailler au Rêve, dès 1889, en collaboration étroite avec Zola, et avec Gallet à qui il envoie peu à peu le matériel musical. 2 septembre 1889: «Notre visite à Médan m’a donné bon courage et je vais me remettre à la besogne avec un bien grand plaisir»… 31 décembre 1889: «J’avance avec une belle ardeur et un bon espoir. Je ne sais si ma musique est digne du poëme, mais j’ai la conscience de faire un effort et de donner un coup de collier»… 31 mai [1890], pourparlers avec Choudens; Zola est «d’accord avec moi que la somme de 40000frs offerte par Choudens soit répartie sur cent représentations»… Avril 1891: Zola a vu la maquette et trouve que «la Cathédrale fait trop petit. C’est un Évêché. Voilà sa seule recommandation». Il associe Gallet au choix des interprètes: «J’ai besoin de votre autorité et de votre expérience pour défendre notre Rêve. Je persiste à penser que tous nos efforts doivent se porter sur le personnage d’Angélique, qui, seul, décidera du succès de la bataille. C’est l’unique rôle de notre ouvrage qui exige impérieusement une artiste vraie, curieuse et intéressante»… Le Rêve sera créé avec succès à l’Opéra-Comique le 18 juin 1891, et connaîtra des représentations à Londres (27octobre 1891) et, dans la foulée, à Bruxelles, où Zola et Gallet doivent rejoindre Alfred Bruneau. En septembre 1891, Bruneau s’attelle à l’Attaque du Moulin et envoie le premier acte à Gallet: «Je le trouve absolument bien ainsi. La ronde est plus précise et la tirade de Marceline va donner un beau développement lyrique. Vos premières scènes sont aussi très, très bien. Zola est tout à fait ravi et moi enchanté» (27 septembre). 11 juillet 1893. Il corrige les épreuves de la partition d’orchestre, et leur ouvrage aura une place de choix dans le programme de la saison de l’Opéra-Comique; «Carvalho nous a trouvé une Françoise [Georgette Leblanc] des plus curieuses et des plus remarquables dont la beauté comme le talent, la voix et le tempérament feront certainement sensation. Il me tarde que vous l’entendiez». L’Attaque du Moulin sera créée le 23 novembre 1893. On joint une L.A.S. d’A. Bruneau, 1er janvier 1906, à un comédien, lui demandant de venir lire un morceau tiré de l’œuvre de Zola à la soirée d’hommage organisée par la Ligue des Droits de l’homme, sous la présidence d’Anatole France; et une longue lettre d’Et. Thibault, ancien professeur à l’université de Sydney (20 janvier 1894) disant son enthousiasme pour l’œuvre du «Maître des Maîtres» (Zola), et celle de Bruneau, et proposant de faire l’adaptation anglaise de L’Attaque du Moulin.

Estim. 800 - 1 000 EUR

Lot 65 - Richard WAGNER (1813-1883). L.A.S., Zurich 2 mai 1853, [au chef d’orchestre Rudolf Schöneck à Posen]; 6pages in-8 remplies d’une petite écriture sur papier bleuté (légères salissures, mouillures et rousseurs, restaurations des déchirures aux plis); en allemand. Importante lettre sur un projet de représentation de Tannhäuser à Berlin. [Ces représentations de Tannhäuser à Berlin par la troupe de Wallner sous la direction de Schöneck n’eurent finalement pas lieu, l’intendant de Berlin ayant pris des mesures contre cette compagnie, et aussi par suite d’une rupture entre Schöneck et Wallner.] Wagner a été informé par l’agent théâtral Michaelson de Berlin que Tannhäuser devrait être donné sous la direction de Schöneck au théâtre Kroll, et qu’il avait songé à le faire jouer au théâtre Wilhelmstadt par la compagnie de Leipzig. Mais Wagner a répondu qu’il ne donnerait son consentement qu’à M. Wallner, parce qu’il avait Schöneck comme chef d’orchestre, et Meffert comme Tannhäuser, et qu’il ne donnait sa garantie qu’à eux, et à personne d’autre, à l’exception de Liszt… Wagner s’inquiète de la grandeur de la scène, celle du Kroll étant très petite, et le Wilhelmstadt ayant plus d’espace. Et il avait cru que Wallner était en négociation avec le Wilhelmstadt… Wagner ne veut pas revenir sur sa parole. L’autorisation du Tannhäuser à Berlin cet été n’est donnée qu’à Wallner; le Théâtre royal pourra acquérir ces droits à l’avenir. Wagner souhaite formellement que cette exécution ait lieu de préférence au Wilhelmstadt, et, en cas d’impossibilité, sur la scène du Kroll malgré ses dimensions réduites. Il signera avec Walner selon les conditions exposées en 6 points 1. L’exécution du Tannhäuser au Friedrich Wilhelmstadt ou au théâtre Kroll ne doit avoir lieu que sous la direction musicale de Rudolf Schöneck, et seulement avec Meffert dans le rôle de Tannhäuser, sauf si Schöneck convient d’un autre arrangement. 2. Schöneck devra constituer un ensemble musical rigoureux et minutieux, et répondre d’une bonne exécution; c’est sous cette seule condition que Wagner donne son accord à cette entreprise. 3. La scène doit être pourvue de toutes les possibilités nécessaires en accord avec les directives indiquées dans sa brochure sur l’exécution du Tannhäuser; il recommande les esquisses des décorateurs de Dresde... 4. Il faut prendre la peine d’élaborer une bonne distribution des rôles féminins, et Wagner recommande Mlle Fastlinger de Leipzig pour Vénus, et Mlle Bamberger de Schwerin pour Élisabeth. 5. Sous réserve de remplir ces conditions, le Directeur Wallner sera autorisé de donner Tannhäuser à Berlin aussi souvent qu’il le désire (provisoirement pour l’année), et Wagner s’engage à ne donner cette autorisation à aucun autre directeur de théâtre berlinois, à la seule exception de l’Intendant du Théâtre Royal. Le 6e point concerne les honoraires que Wallner devra verser à Wagner, avec une avance de 30 friedrich d’or sur les cinq premières représentations. Wallner devra aussi assurer la vente du livret à la caisse, et se le procurer auprès de l’éditeur C. F. Mesen à Dresde, qui est tenu de faire aux directeurs de théâtre une réduction de 25 % sur ce livret, ainsi que de reprendre les exemplaires non vendus. Wagner remet l’affaire entre les mains de Schöneck, qui devra s’assurer que Wallner remplit bien ces conditions. Il a toute confiance en lui, et se réjouit de pouvoir devant tout le monde donner maintenant la preuve de sa fidélité et de sa considération pour son talent; il souhaite que cette entreprise sera utile au chef d’orchestre et représentera un tournant dans sa carrière! Il ajoute que, si Meffert n’a pas reçu de réponse de Weimar, c’est probablement que Liszt n’avait précisément rien de bon à lui écrire; et il recommande, pour le rôle de Wolfram, Mitterwürzer (de Dresde): il est le meilleur Wolfram. «Kürzlich schrieb mir der Theateragent Michaelson aus Berlin mit Schreck darüber, daß von Ihnen der Tannhäuser auf dem Krollschen Theater gegeben werden sollte: er hätte dagegen schon im Sinne gehabt, diese Aufführung auf dem Wilhelmstädter Theater durch die Leipziger Gesellschaft zu vermitteln. Hierauf antwortete ich ihm, daß ich meine Eiwilligung zu solch einer Aufführung weder der Leipziger Gesellschaft noch sonst irgend jemand geben würde, sondern lediglich Herrn Wallner, weil er Sie zum Musikdirektor und Meffert zum Tannhäuser habe; daß in Ihnen und Meffert meine Garantie liege, und niemand anders, außer Liszt, mir dieselbe Garantie bieten könnte. Ich bat ihn, er solle dies soviel wie möglich öffentlich machen. […] Michaelson hat mir allerdings einen Floh ins Ohr gesetzt, nämlich was die Größe der Bühne betrifft: diese soll bei Kroll doch sehr klein, bei der Wilhelmsstadt dagegen bei weitem geräumig

Estim. 4 000 - 5 000 EUR

Lot 70 - Claude BERNARD (1813-1878). Manuscrit autographe signé, Critique expérimentale sur la chaleur animale, [1877]; 132pages oblong grand in-8 (environ 17 x 22 cm.). Précieux manuscrit de son tout dernier travail sur la chaleur animale, resté inachevé et qui semble inédit. Ce manuscrit de travail, rédigé à l’encre noire au recto et au verso de feuillets oblongs de papier ligné, est abondamment raturé et corrigé, avec des notes et additions en marge, au crayon ou à l’encre. Ce travail est conçu comme une série de quatre communications, probablement à l’Académie des Sciences, les deux dernières seulement esquissées; il est postérieur aux Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et sur la fièvre (Paris Baillière, 1876), auxquelles il renvoie à plusieurs reprises. La première communication, intitulée I Topographie calorifique du système sanguin, existe en deux états. – La première version, sur 14 feuillets (numérotés 1-14, plus un 11bis), est très corrigée; certains passages ont été repris et collés sur une rédaction primitive; des notes marginales indiquent des développements à faire; le feuillet 11 bis présente un graphique et un dessin du système sanguin, aux encres de couleur; au dos du dernier feuillet, Bernard a ébauché au crayon une conclusion, d’une écriture cursive sur un feuillet ajouté (paginé 13-14). – La seconde version, plus développée, sur 72pages numérotées, est commencée comme une mise au net à son tour abondamment raturée et corrigée, avec de nouveaux développements; des passages sont entièrement biffés, et d’autres sont collés sur une version primitive. Cette version porte en tête la mention biffée: «1ère communication: Topographie calorifique du système circulatoire» Des divisions apparaissent dans le texte: I Procédés physiques; II Appareils thermo-électriques (avec subdivisions: Galvanomètre; Soudures thermo-électriques; Graduation des soudes et des aiguilles); III Procédés opératoires de vivisection; [IV] Expériences (avec 4 graphiques aux crayons de couleur p.57, 59, 61, 69, et un tableau p.65). Citons la conclusion: «En définitive, il faut renoncer aujourd’hui à l’idée de Lavoisier d’une localisation dans le poumon ou ailleurs d’un foyer de chaleur quelconque. La chaleur animale ne saurait pas plus se localiser que la nutrition dont elle est une conséquence directe. Tous les organes, tous les tissus, tous les éléments de tissu se nourrissent et engendrent de la chaleur. Dès lors le problème de l’origine et du mécanisme de la production de la chaleur animale se pose tout autrement. Pour le résoudre nous n’avons plus à nous adresser à un organe ou un appareil spécial, mais à tous les appareils, à tous les organes et à tous les tissus de l’économie, parce que tous sont le siège de phénomènes chimiques qui accompagnent la nutrition et qui sont les origines réelles de la chaleur animale. C’est cette origine commune de la chaleur animale dans tous les tissus que nous essayerons d’établir dans notre prochain travail». La 2e communication (indication au crayon rouge en partie effacée) est intitulée (après correction): Origine générale de la chaleur et sa production dans les différens organes du corps; elle compte 20 pages (pag. 1-18, avec 2ff. 11-12). En marge de la première, Bernard a noté: «Analyse du sang des glandes des muscles et en fonction et en repos». Cette communication, avec de nombreuses ratures et corrections et des béquets, est divisée en parties (mal numérotées): A Production de la chaleur dans les muscles à l’état de contraction (avec insertion d’un graphique aux encres bleue et rouge p. 5, et d’un autre p.10, au dos d’une convocation du Journal des Savants du 5 mars 1877); B Production de la chaleur dans les muscles à l’état de repos; D Production de la chaleur dans les membranes muqueuses et dans les divers tissus; II Production de la chaleur dans les organes nerveux; III Production de la chaleur dans les glandes. La 3e communication (indication au crayon rouge) est intitulée: Mécanisme de la production de la chaleur animale; elle compte 7pages (avec ratures et corrections); une note marginale en tête indique: «Les communications 3 et 4 peuvent être réunies en une seule». La 4e communication (indication au crayon rouge) est intitulée: Influence du système nerveux sur la chaleur animale. Elle compte 4 pages d’une écriture cursive; sur la dernière, dessin d’éprouvettes. On joint 3 enveloppes de l’Imprimerie Émile Martinet, avec titres autographes.

Estim. 8 000 - 10 000 EUR

Lot 73 - Marie BONAPARTE (1882-1962). 9 L.A.S. (une incomplète du début), Saint-Cloud 1924-1925, au critique et écrivain Nicolas Ségur; 28pages in-8 ou in-12 à son chiffre couronné (la plupart deuil). 1924. 3 octobre. Remerciements pour son article dans la Revue Mondiale sur «mon modeste livre Le Printemps sur mon jardin» dont il a parlé «de manière si poétique et pénétrante que mes visions m’en ont semblé embellies. Ne viendrez-vous pas un jour jusqu’à ce jardin? Le printemps n’est plus, mais l’automne commence à dorer les feuilles, et j’aimerais, sous ces doux ombrages, causer avec vous»… – 18 octobre. Sur les livres de Ségur, louant «les pages fortes et subtiles où vous dissertez de l’amour, ce levier de toutes les forces!» Elle a aimé ses trois romans, a été ravie par la justesse de sa peinture de la femme, et par le charme mélancolique de Mr Renan, mais a une préférence pour Une île d’amour «avec sa fantaisie légère et écumeuse recouvrant de philosophiques paradoxes et d’éternelles vérités»… Son ami le Dr Laforgue, «qui se rattache à l’école de Freud», a été enthousiasmé par une citation de Renan; il prépare un ouvrage «qui a trait aux névroses et à la psychanalyse» … 1925. 3 mars. Elle a lu ses Conservations avec Anatole France, ou les Mélancolies de l’intelligence, et souhaiterait en causer avec lui: «Nous reparlerons de ces mélancolies que vous savez si bien évoquer, et qui s’élevant à des régions toujours plus hautes, font de votre dernier livre comme la montée d’une cime enneigée»… – 12 mars. Elle s’attriste de son brusque départ qui interrompt leurs causeries… – 25 mai. Invitation à déjeuner à Saint-Cloud avec des amis proches. – 15 juin. Elle lui renvoie «le charmant conte que vous m’avez prêté et qui m’a fort plu!» Elle espère bientôt lire d’autres œuvres… – 8 octobre. Elle l’invite à déjeuner, bien que la brume «enveloppe les feuillages, et une grande fatigue, après mes chagrins de cette année, me retient à la maison. Mais si vous ne craignez pas de ne voir les arbres qu’à travers la vitre, et leur amie qu’étendue sur un divan, je serai heureuse de vous accueillir»… Etc.

Estim. 1 000 - 1 200 EUR

Lot 83 - Charles DARWIN (1809-1882). L.A.S., Londres 14 octobre 1841, à Joseph-Paul Gaimard, à Paris; 2 pages et demie in-4, adresse; en anglais (papier froissé, taches). Précieuse lettre lors de la préparation de son livre sur les récifs de corail, la seule connue de Darwin à Paul Gaimard (1793-1858), membre de l’expédition de l’Astrolabe commandée par Dumont d’Urville (1826-1829). [De 1832 à 1836, Charles Darwin visita l’Amérique du Sud et les îles du Pacifique comme naturaliste dans l’expédition du capitaine Fitzroy sur le Beagle. De cet important voyage, il rapporta une quantité de documents et d’observations qui furent à la base de sa théorie de l’évolution. Résidant à Londres entre 1839 et 1842, il se consacra pendant cette période à la rédaction de son ouvrage sur les récifs de corail (The Structure and Distribution of Coral Reefs. Being the first part of the Geology of the Voyage of the Beagle, London, 1842). Dans la présente lettre, Darwin demande à son correspondant de lui fournir des renseignements sur les récifs madréporiques de l’île de Vanikoro, explorée quelques années auparavant par Dumont d’Urville lors du voyage de l’Astrolabe.] Darwin rappelle qu’il a accompagné le capitaine FitzRoy dans son voyage à bord H.M.S. Beagle, comme naturaliste, et il est presque prêt à publier un petit volume sur les formations de corail («a small volume on coral-formations») [The Structure and Distribution of coral reefs..., London, 1842]. Il souhaite vivement se renseigner sur un aspect du sujet, et le zèle avec lequel Gaimard cultive depuis longtemps les sciences naturelles, l’enhardit à espérer qu’il obligera un collaborateur dans le même domaine. Dans le compte-rendu de M. Cordier de la géologie du voyage de l’Astrolabe (vol. I, p. cxi), il écrit à propos de Vanikoro que l’île est «entourée de récifs madréporiques qu’on assure être de formation tout-à-fait moderne»... Comme il s’intéresse extrêmement à cette question et qu’il a conclu presque de même quant à la structure du récif («As I am extremely interested on this point & came to a nearly similar conclusion for the structure of the reef»), il lui saurait gré de l’informer de ce sur quoi se fonde la remarque de M. Cordier: la source de l’information, et si elle repose sur des traditions des indigènes («How the information was obtained, – whether it rests on the traditions of the natives?»). Il prie Gaimard de répondre rapidement, puisqu’il est à la veille de publier; il sait pertinemment que sa position ne lui permet pas de le déranger...

Estim. 10 000 - 15 000 EUR

Lot 86 - Charles FOURIER (1772-1837) philosophe et économiste. Manuscrit autographe signé, Le remède aux divers esclavages, [1836]; 8pages in-4 et 2pages in-8 à en-tête de La Réforme Industrielle ou Le Phalanstère, Journal des Intérêts généraux de l’Industrie et de la Propriété. Très rare et important texte sur l’abolition de l’esclavage, et sur l’organisation économique et sociale du monde. «Au moment où l’Angleterre fait une folle dépense de cinq cent millions, pour affranchir ses esclaves coloniaux qu’elle pourrait libérer sans aucuns frais, et sans risque de déclin de l’industrie aux Antilles; Au moment où la France, dans un accès d’Anglomanie, veut faire chorus de duperie, et projette un nouvel impot ou emprunt de 300 millions, pour affranchir ses nègres coloniaux qu’elle peut libérer sans qu’il en coute rien; N’est-ce pas le cas d’examiner la méthode qui affranchirait gratis tous les esclaves du globe, qui les émanciperait par la volonté et l’offre des maitres, avec garantie de persistance au travail, et progrès d’émulation?» Fourier engage à se méfier «de la philantropie dispendieuse», et propose d’abolir l’esclavage et l’indigence sans qu’il en coûte rien, «rien autre que de vouloir»... «Ceux qui ont disserté sur l’esclavage et l’indigence et sur les moyens de remède, n’ont pas considéré que ces deux fléaux sont liés, proviennent d’une même cause; et que la cure de tous deux doit être opérée par un seul antidote, qui est l’industrie combinée et attrayante, donnant quadruple produit». Il faudrait utiliser «l’art d’associer des masses de familles inégales en fortune»; ainsi, réunir les 3 à 400 familles d’une bourgade agricole. «Pour opérer cette réunion, il est 3 problèmes à résoudre 1 Distribution des travaux en mode attrayant; 2 Emploi utile des discords et inégalités; 3 Répartition satisfaisante pour chacun [...] il faut donc un mode qui satisfasse chacun selon ses 3 facultés industrielles qui sont 1° capital actionnaire, 2° travail, 3° talent; et qui distribue le quadruple produit aux diverses classes, dans la proportion suivante: Riches,Aisés,Moyens,GênésPauvres. Double,Triple,Quadre,Quinte,Sextuple Alors les 22 millions de Français qui gagnent en salaire ou labeur 6 ½ sous par jour auront environ 40 sous. Ceux qui ont cent mille fr. de rente en auront deux cent mille. La classe moyenne rentée à 2 ou 3000f en aura 8 à 12 000 chacun sera content»... Fourier raille les «gacheurs en Association», comme Owen et Saint-Simon: «Ils voulaient prendre aux riches pour donner aux pauvres; ils ne rêvaient que communauté, modération, pénitencerie, frugalité, patience, et autres dispositions contre nature»... Fourier pose également le problème de «l’équilibre de population», en faisant l’éloge de Malthus, dont il déplore la rétractation. L’organisation de la société ne peut s’envisager que selon une Théorie scientifique, fondée sur les «lois d’harmonie» faites par Dieu, sur «la dualité de mécanisme» que l’on peut déduire d’un «calcul d’analyse & de synthèse sur les attractions et les répugnances». Le «calcul d’attraction matérielle» de Newton doit être exploité dans «les attractions passionnelle, instinctive, organique, aromale &c.» Il faut donc tenter «une ferme-modèle d’industrie attrayante & combinée», dont Fourier expose les avantages fiscaux, politiques, économiques, sociaux, culturels... Fourier appelle pour finir Louis-Philippe à tenter une telle expérience. On joint un petit portrait gravé de Fourier, et une facture de librairie de la Société pour la propagation et la réalisation de la théorie de Charles Fourier (1851).

Estim. 6 000 - 8 000 EUR

Lot 88 - Sigmund FREUD (1856-1939). L.S., Vienne 3 mars 1927, [au docteur Gilbert Robin]; 2grandes pages in-4 dactylographiées à son en-tête Prof. Dr. Freud Wien IX, Berggasse 19 (traces de plis avec légères fentes); en allemand. Très intéressante lettre sur sa vie. Le docteur Gilbert Robin (qui, l’année précédente, avait publié chez Gallimard un livre sur Les Haines familiales, et, après de nombreux ouvrages, en 1966, Vocation spirituelle du psychiatre) a prononcé une conférence sur Freud, dont il lui a envoyé le texte. Freud le remercie de ce texte très aimable à son égard, peut-être trop aimable en plus d’un endroit. Robin a bien reconnu le caractère essentiel de sa vie, en ce qu’elle s’est déroulée sans épreuves extérieures marquantes: «Den Hauptcharakter meines Lebens, nämlich dass es ohne auffällige äussere Schicksale verlief, haben Sie richtig erkannt». Mais Freud tient à relever quelques erreurs, sur huit points. Il n’a jamais regretté de ne pas avoir découvert lui-même l’anesthésie locale par la cocaïne: «die lokale Anaesthesie durch Kokain nicht selbst entdeckt zu haben». Il avait en effet pressenti cette utilisation de la cocaïne, et a donné l’idée d’essayer cet usage de la cocaïne à un de ses amis, oculiste, alors qu’il partait en voyage... Pendant ce temps, un essai fut fait à la cornée par Karl Koller... L’ami de Freud a ainsi laissé échapper cette occasion. Ce n’est pas à vingt ans que Freud est venu à la Salpêtrière: en réalité il avait 29 et 30 ans quand il revint de Paris: «Sie schreiben, ich war 20 Jahre alt, als ich an die Salpetrière kam. In Wirklichkeit war ich damals 29 Jahre alt und 30, als ich von Paris zurückkam». Il n’a jamais eu de chaire à la Faculté de Médecine de Vienne; il n’a jamais été que professeur privé; il a reçu en 1902 le titre de professeur extraordinaire, en 1920 le titre de professeur ordinaire. «Ich war immer nur Privatdozent, erhielt 1902 den Titel eines ausserordentlichen Professors, 1920 den Titel eines ordentlichen Professors». Robin dit à la louange de la femme de Freud qu’elle a abandonné ses recherches et ses études en psychologie, quand elle a appris à le connaître, dans le vrai sens du terme, parce qu’il suffisait d’un psychologue dans la famille: «Sie wissen zum Lobe meiner Frau zu sagen, dass sie ihre psychologischen Interessen und Studien aufgab, als sie mich kennen lernte, in der richtigen Meinung, dass ein Psychologe für die Familie genüge». Freud ne sait où il a pris cela. Dans ce qu’elle lui a toujours sacrifié, les questions psychologiques n’ont rien eu à faire: «Was immer für Opfer sie mir gebracht hat, psychologische Interessen waren nicht darunter». Elle n’est pas fille de professeur, mais nièce de deux honorables universitaires: Jacob Bernays professeur de philologie ancienne, et Michel Bernays professeur d’histoire littéraire. Sa plus jeune fille [Anna] s’occupe de psychanalyse et a fait paraître ces jours-ci son premier ouvrage sur l’analyse des enfants: «Meine jüngste Tochter beschäftigt sich allerdings mit Psychoanalyse, und hat dieser Tage ihr Erstlingswerk über die Technik der Kinderanalyse erscheinen gesehen». Il ne peut pas confirmer que son intérêt s’est porté ces dernières années vers la philosophie antique. Gilbert Robin le décrivant comme un chef de famille craint et vénéré, Freud réplique qu’il n’a jamais donné à un membre de sa nombreuse famille l’occasion de le craindre: «Ich glaube nicht, dass ich einem einzigen Mitglied meiner zahlreichen Familie Anlass gegeben habe, mich zu fürchten». Robin raconte aussi que les enfants Freud ont été raillés à l’école à cause de son opposition envers les professeurs. Ce n’est pas vrai. Robin connait mal Vienne s’il peut supposer que, chez les Viennois, un simple intérêt intellectuel puisse avoir de telles conséquences. La principale caractéristique des Viennois est l’indifférence, et celle-ci inspire encore aujourd’hui leur attitude envers sa personne... «Sie kennen Wien schlecht, wenn Sie annehmen, dass bei den Wienern ein rein intellektuelles Interesse solche Folgen haben könnte. Der Hauptcharakter des Wieners ist die Indifferenz und diese beherrscht wohl auch heute das Benehmen meiner Landsleute gegen meine Person»….

Estim. 2 500 - 3 000 EUR

Lot 89 - Sigmund FREUD (1856-1939). 2 L.A.S. et 1 L.A., 1930-1936, au Dr Karl Frankenstein; 4pages oblong in-12 sur cartes à son en-tête et adresse Prof. Dr. Freud Wien IX, Berggasse 19; en allemand. [Karl Frankenstein (1905-1990), psychologue berlinois, dirigeait le fonds d’aide aux artistes et intellectuels juifs: Hilfswerk für Jüdische Künstler und Feistarbeiter.] Grundlsee 28 août 1930. Il le remercie et fait l’éloge des hommes libéraux de Francfort qui veulent combattre les préjugés: «Die Männer in Frankfurt scheinen wirklich liberal zu sein und Vorurteile bekämpfen zu wollen». Wien 28 mai 1931. Il le remercie de ses aimables paroles à l’occasion de son 75e anniversaire: «mit herzlichem Dank für ihre freundlichen Worte zum (angeblich) Anlaß des 75ten Geburstages». Wien 26 janvier 1936. S’il a l’intention d’entreprendre une étude approfondie de la psychanalyse, il ne gagnera pas grand-chose à lire des livres faciles à comprendre. Et les cours de Freud d’Introduction à la Psychanalyse seront probablement trop pour lui. Il conseille l’œuvre élémentaire de Hans Zulliger sur la vie inconsciente de l’âme… «Wenn Sie ein “gründliches” Studium der Psychoanalyse beabsichtigen, werden Sie aus der Lektüre von leicht faßlichen Büchern wenig Gewinn haben Meine Vorlesungen z[ur] Einführung i[n] d[ie] Ps[ycho]A[nalyse] werden Ihnen wahrscheinlich zuviel sein Ein ganz elementares Werk ist Zulliger’s Unbewußtes Seelenleben»… [Hans Zulliger (1893-1965): Unbewußtes Seelenleben. Die Psychoanalyse Freuds in ihren Hauptzügen (Stuttgart, Franck, 1924)].

Estim. 3 500 - 4 000 EUR

Lot 90 - Sigmund FREUD (1856-1939). L.A.S., Vienne 1er septembre 1932 [à André Cœuroy]; 1page in-4 à son en-tête Prof. Dr. Freud Wien IX, Berggasse 19 (encadrée), timbre à date d’arrivée; en allemand. Au sujet de sa collaboration avec Einstein pour Warum Krieg? [La lettre est relative au projet d’échange épistolaire («Eine Briefwechsel») entre Freud et Einstein au sujet de la guerre, qui sera publié sous le titre Warum Krieg? en allemand, en français (Pourquoi la guerre?) et en anglais en 1933 par l’Institut international de Coopération intellectuelle, à l’initiative de la Commission permanente pour les lettres et les arts de la Société des Nations, que dirigeait Jean Belime dit André Cœuroy (1891-1976), musicologue, rédacteur en chef de la Revue musicale.] Freud a reçu la lettre de Cœuroy, se référant à l’invitation du Professeur Einstein de faire un exposé sur un sujet de son choix et à mettre la discussion à la disposition de l’Institut que dirige Cœuroy. Il a l’honneur de confirmer qu’il a accepté cette invitation. L’importance du problème ainsi que celle des participants ont rendu toute autre décision impossible. Au cours des prochaines semaines, il tâchera de rassembler ce qu’il sait dire, en tant que psychologue, concernant la possibilité d’éviter une guerre. Il craint cependant que cela ne réponde pas entièrement à ses attentes. Il remercie d’avance pour les soins concernant son petit exposé. «Hochgeehrter Herr Ich habe Ihren Brief erhalten, der auf die Einladung Prof. Einstein’s Bezug nimmt, mich über ein von ihm gewählter Thema zu aussern und die Discussion dem von Ihnen geleiteten Institut zur Verfügung zu stellen. Ich beehre mich Ihnen zu bestätigen dass ich diese Einladung angenommen habe. Die Wichtigkeit des Problems sowie die Bedeutung der betheiligsten Personen machten eine andere Entscheidung unmöglich. In den nächsten Wochen werde ich versuchen, zusammen zustellen, was ich als Psycholog über die Möglichkeit der Verkütung von Kriegen zu sagen weiss. Ich besorge es wird Ihren Erwartungen nicht genügen. Nehmen Sie im Vorhinein meinen besten Dank für Ihre Bemühungen um meinen kleinen Aufsatz»...

Estim. 6 000 - 8 000 EUR