Antoine CHINTREUIL (1814-1873), peintre paysagiste, lié à l'École de Barbizon, précurseur des impressionnistes. 4 lettres autographes signées à un collectionneur et mécène. Paris, Igny, Latournelle par Septeuil, 1853-1869. 11 pp. in-8. Superbe correspondance artistique. " Depuis longtemps, j'avais le désir de vous offrir une esquisse. Je n'osais le faire, j'étais effrayé de votre réputation de connaisseur si distingué : mais la lettre bienveillante que vous avez adressée à monsieur Béranger me donne l'espoir que vous voudrez bien me faire l'honneur d'accepter mon oeuvre, et d'être indulgent pour une peinture encore nouvelle et peu appréciée aujourd'hui []. Faites-moi vos observations en fait d'art, je ne m'en fiche pas comme vous dites, rien n'est plus bête qu'un paysagiste et il apprend toujours à écouter les fins observateurs comme vous, même lorsqu'il aime mieux le talent de Chintreuil au détriment du grand Coro [Corot] ou de l'indépendant d'Obigny [Daubigny]. J'attendais pour vous répondre de nouveaux dessins promis, comme ils ne viennent pas et pour ne pas vous faire demander tous les jours si le facteur est arrivé []. Nous travaillons beaucoup mon cher ami Desbrosses [Jules-Alfred] fait des chef-d'oeuvres et je veux bien vous promettre des documents sur son compte pour la biographie que vous ne pouvez plus vous dispenser de faire pour sa gloire et pour la vôtre []. L'art n'existe plus, le gouvernement ne pense qu'à mendier, tirer de l'argent des citoyens, voilà son but [], mais voulez-vous ses encouragements, voici la recette : faites des comédies excitant les individus à se manger les uns les autres, faites de la peinture pour amuser les cabinets comme ils disent, c'est à dire de sales tableaux, ou bien de la peinture officielle bataille bataille, généraux, canard impérial, à ce point de vue, vous serez à leurs yeux un grand artiste, mon cher ami []. Chassons le mauvais temps, voici le ciel bleu, j'ai trois tableaux pour le Salon prochain, un champ de Sainfoin (bon tableau) qui sera refusé (probablement), un effet du matin (bon) refusé à coup sûr et enfin un automne ni bon ni mauvais reçu probablement. Quant à Desbrosses, je ne veux pas vous faire la description de ses tableaux pour le forcer à vous écrire []. Je suis si souffrant et si dégoûté de la vie, si j'étais seul, et si je n'avais pas d'ami, je crois que je serais déjà parti pour le grand voyage []. Je suis absorbé par mon diable de paysage qui ne me laisse aucun repos []. Le ministère des beaux-arts a fait l'acquisition d'un de mes tableaux du salon intitulé les ruines soleil couchant (c'est un souvenir de chez vous), ce sont les ruines de l'ancien château de Boves. Vous voyez qu'elles m'ont porté bonheur, du reste le tableau était bon, il faut croire que j'ai l'estomac reconnaissant, car nous parlons souvent avec ce bon Desbrosses des excellents potages de chez vous et de ces belles et bonnes friandises que madame savait si bien faire [] Le salon n'est ni bon ni mauvais mais il n'y a pas d'oeuvre saillante. Desbrosses a 2 tableaux dont un est fort original, c'est un cabaret de village où il y a un clair-obscur très réussi mais il fait horreur à quelques membres de l'Institut. L'autre tableau est intitulé la convalescence, c'est une bonne et forte peinture [] ".