Null PROUST (Marcel). 
Lettre autographe signée « Marcel » à Clément de Maugny. …
Description

PROUST (Marcel). Lettre autographe signée « Marcel » à Clément de Maugny. [Paris, 29 ou 30 mai 1922]. 9 pp. in-12 carré, soit environ 3 pp. de la main de Céleste Albaret et environ 6 pp. de la main de l’écrivain. « [De la main de Céleste Albaret :] Mon cher Clément, je n’ai pas répondu à ta lettre, bien plus je ne l’avais [pas] tout de suite lue. Voici pourquoi. Comme les tuiles ne tombe[nt] jamais l’une sans l’autre, j’ai pris pur, à peu près au moment où tu m’écrivais, un médicament don[t] je [ne] savais pas qu’il ne pouvait être pris que très délayé. Aussi J’AI ETE PRIS TOUT DE SUITE DE SOUFFRANCES AFFREUSES, à s’évanouir de douleur. On a voulu les jours suivants me plâtrer l’estomac, puis on y a renoncé, mais j’ai eus plusieur[s] semaine[s] de forte fièvre, avec une grande difficulté à me tourner dans mon lit. Inutile de te dire que J’AI DU INTERROMPRE LES ENVOIS A PEINE COMMENCES DE MON LIVRE. Je n’ai pas pris complètement connaissance de mon courrier mais j’ai lu avec attention et chagrin ta lettre. Avec toute la réserve que je suis obligée prendre dans mes expressions puisque je dicte ce mot, je te dirais brièvement que j’ai fait aussitôt au ministère des Affaires étrangères la démarche que tu m’avais demandé[e] pour ton protégé, mais les détails les plus précis m’ont été fournis sur la volonté qu’on a en haut lieu de réduire les traitements avant la fin de l’exercice et de supprimer d’anciens postes au lieu d’en créer de nouveaux. Un de mes amis qui est là très influen[t] me propose d’écrire à notre consul à Genève pour qu’il trouve à ton protégé un petit emploie à Genève [De la main de Marcel Proust :] Mon cher Clément, ici je prends la plume et cesse ma dictée, car cette fiction de "ton protégé" que j’avais adoptée auprès de ma femme de chambre (pour ne pas dire qu’il s’agissait de toi) rend la rédaction trop difficile. Donc offre pour notre consul. Je n’ai ni accepté, ni refusé, avant de te consulter, car comme on ignore ici que tu es maire, peut-être cet emploi à Genève te nuirait-il ? Pour parer au plus pressé, je t’envoie un mandat de 400 francs. Mais je te conseille de ne pas tarder davantage à exécuter ce que je t’avais conseillé il y a bien longtemps. ÉCRIS A MATHIEU DE NOAILLES DONT LA FEMME [ANNA DE NOAILLES] CONNAIT PLUS OU MOINS LES DIRIGEANTS DE LA SOCIETE DES NATIONS, ET QUI A UN GRAND PRESTIGE POUR EUX. Pour Mathieu de Noailles, toi c’est moi, une lettre de toi bénéficiera donc des bons sentiments qu’ils peuvent avoir pour moi. Mais elle fera meilleure impression si c’est toi qui l’écrit et, à toutes les raisons que je t’ai déjà données à ce sujet, s’en ajoute une autre, c’est que MOI QUI D’HABITUDE N’ENVOIE PAS MES LIVRES (JE NE SAIS POURQUOI CAR JE L’ADMIRE INFINIMENT) A MADAME DE NOAILLES, JE LUI AI ENVOYE LE DERNIER, la veille de mon accident. Si c’est moi qui lui écris pour toi, elle croira peut-être que c’est pour cela, l’envoi de mon livre. D’ailleurs, ce n’est pas elle mais à ton ancien camarade Mathieu que tu devrais écrire (je te conseille de ne pas me mettre en cause, mais si tu le fais dis-le moi pour que j’évite de faire des gaffes)... Quant à continuer à attendre que les changes se modifient, ce serait fou, comme je te le disais l’an passé. Personne ne peut rien prédire à ce sujet ; s’ils se relèvent, tant mieux, mais agis sans compter sur ce miracle car sans cela tu vendras une à une toutes tes valeurs à vil prix, tu mangeras tout ton blé en herbe. Je te demande pardon de te parler aussi franchement, mais JE VOIS SI BIEN PAR MOI-MEME LES TERRIBLES DIFFICULTES DE LA VIE ACTUELLE, MON SUCCES (?) N’AYANT COMMENCE QU’A UN MOMENT OU LES EDITEURS NE PAYAIENT PLUS, et les mercantis louant les habitations, pour qui a fait comme moi la folie de déménager, dix fois leur valeur véritable. Excuse-le décousu de ce mot, mais depuis un mois je ne puis prendre que des glaces qu’on va chercher au diable, et ce qui est un mets plus coûteux que nourrissant. Aussi a-t-il fallu une lettre de mon cher Clément – une lettre qui m’a plongé le poignard dans le cœur – pour que j’écrive... » AMI DE JEUNESSE DE MARCEL PROUST ET UNE DES INSPIRATIONS DE LA RECHERCHE, LE COMTE DE MAUGNY (1873-1944) reçut plusieurs fois l’écrivain, entre 1893 et 1905, dans son château de Maugny au bord du lac Léman, et demeura ensuite jusqu’à sa mort en relations épistolaires avec lui. Marcel Proust transposa dans la Recherche les souvenirs de ces séjours. Par ailleurs, Clément de Maugny avait épousé une aristocrate polonaise, Rita Busse, qui publia en 1919 un recueil de dessins avec une lettre de Marcel Proust en guise de préface. GOUVERNANTE DE MARCEL PROUST, TEMOIN PRIVILEGIE DE SA VIE, ET UN DES MODELES DE LA CUISINIERE FRANÇOISE DANS LA RECHERCHE, CELESTE ALBARET (1891-1984) de

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PROUST (Marcel). Lettre autographe signée « Marcel » à Clément de Maugny. [Paris, 29 ou 30 mai 1922]. 9 pp. in-12 carré, soit environ 3 pp. de la main de Céleste Albaret et environ 6 pp. de la main de l’écrivain. « [De la main de Céleste Albaret :] Mon cher Clément, je n’ai pas répondu à ta lettre, bien plus je ne l’avais [pas] tout de suite lue. Voici pourquoi. Comme les tuiles ne tombe[nt] jamais l’une sans l’autre, j’ai pris pur, à peu près au moment où tu m’écrivais, un médicament don[t] je [ne] savais pas qu’il ne pouvait être pris que très délayé. Aussi J’AI ETE PRIS TOUT DE SUITE DE SOUFFRANCES AFFREUSES, à s’évanouir de douleur. On a voulu les jours suivants me plâtrer l’estomac, puis on y a renoncé, mais j’ai eus plusieur[s] semaine[s] de forte fièvre, avec une grande difficulté à me tourner dans mon lit. Inutile de te dire que J’AI DU INTERROMPRE LES ENVOIS A PEINE COMMENCES DE MON LIVRE. Je n’ai pas pris complètement connaissance de mon courrier mais j’ai lu avec attention et chagrin ta lettre. Avec toute la réserve que je suis obligée prendre dans mes expressions puisque je dicte ce mot, je te dirais brièvement que j’ai fait aussitôt au ministère des Affaires étrangères la démarche que tu m’avais demandé[e] pour ton protégé, mais les détails les plus précis m’ont été fournis sur la volonté qu’on a en haut lieu de réduire les traitements avant la fin de l’exercice et de supprimer d’anciens postes au lieu d’en créer de nouveaux. Un de mes amis qui est là très influen[t] me propose d’écrire à notre consul à Genève pour qu’il trouve à ton protégé un petit emploie à Genève [De la main de Marcel Proust :] Mon cher Clément, ici je prends la plume et cesse ma dictée, car cette fiction de "ton protégé" que j’avais adoptée auprès de ma femme de chambre (pour ne pas dire qu’il s’agissait de toi) rend la rédaction trop difficile. Donc offre pour notre consul. Je n’ai ni accepté, ni refusé, avant de te consulter, car comme on ignore ici que tu es maire, peut-être cet emploi à Genève te nuirait-il ? Pour parer au plus pressé, je t’envoie un mandat de 400 francs. Mais je te conseille de ne pas tarder davantage à exécuter ce que je t’avais conseillé il y a bien longtemps. ÉCRIS A MATHIEU DE NOAILLES DONT LA FEMME [ANNA DE NOAILLES] CONNAIT PLUS OU MOINS LES DIRIGEANTS DE LA SOCIETE DES NATIONS, ET QUI A UN GRAND PRESTIGE POUR EUX. Pour Mathieu de Noailles, toi c’est moi, une lettre de toi bénéficiera donc des bons sentiments qu’ils peuvent avoir pour moi. Mais elle fera meilleure impression si c’est toi qui l’écrit et, à toutes les raisons que je t’ai déjà données à ce sujet, s’en ajoute une autre, c’est que MOI QUI D’HABITUDE N’ENVOIE PAS MES LIVRES (JE NE SAIS POURQUOI CAR JE L’ADMIRE INFINIMENT) A MADAME DE NOAILLES, JE LUI AI ENVOYE LE DERNIER, la veille de mon accident. Si c’est moi qui lui écris pour toi, elle croira peut-être que c’est pour cela, l’envoi de mon livre. D’ailleurs, ce n’est pas elle mais à ton ancien camarade Mathieu que tu devrais écrire (je te conseille de ne pas me mettre en cause, mais si tu le fais dis-le moi pour que j’évite de faire des gaffes)... Quant à continuer à attendre que les changes se modifient, ce serait fou, comme je te le disais l’an passé. Personne ne peut rien prédire à ce sujet ; s’ils se relèvent, tant mieux, mais agis sans compter sur ce miracle car sans cela tu vendras une à une toutes tes valeurs à vil prix, tu mangeras tout ton blé en herbe. Je te demande pardon de te parler aussi franchement, mais JE VOIS SI BIEN PAR MOI-MEME LES TERRIBLES DIFFICULTES DE LA VIE ACTUELLE, MON SUCCES (?) N’AYANT COMMENCE QU’A UN MOMENT OU LES EDITEURS NE PAYAIENT PLUS, et les mercantis louant les habitations, pour qui a fait comme moi la folie de déménager, dix fois leur valeur véritable. Excuse-le décousu de ce mot, mais depuis un mois je ne puis prendre que des glaces qu’on va chercher au diable, et ce qui est un mets plus coûteux que nourrissant. Aussi a-t-il fallu une lettre de mon cher Clément – une lettre qui m’a plongé le poignard dans le cœur – pour que j’écrive... » AMI DE JEUNESSE DE MARCEL PROUST ET UNE DES INSPIRATIONS DE LA RECHERCHE, LE COMTE DE MAUGNY (1873-1944) reçut plusieurs fois l’écrivain, entre 1893 et 1905, dans son château de Maugny au bord du lac Léman, et demeura ensuite jusqu’à sa mort en relations épistolaires avec lui. Marcel Proust transposa dans la Recherche les souvenirs de ces séjours. Par ailleurs, Clément de Maugny avait épousé une aristocrate polonaise, Rita Busse, qui publia en 1919 un recueil de dessins avec une lettre de Marcel Proust en guise de préface. GOUVERNANTE DE MARCEL PROUST, TEMOIN PRIVILEGIE DE SA VIE, ET UN DES MODELES DE LA CUISINIERE FRANÇOISE DANS LA RECHERCHE, CELESTE ALBARET (1891-1984) de

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