Null CHATEAUBRIAND (François-René de). 
Lettre autographe [à la duchesse de Dura…
Description

CHATEAUBRIAND (François-René de). Lettre autographe [à la duchesse de Duras]. La Vallée-aux-Loups [actuel département des Hauts-de-Seine], 1er novembre 1811. 4 pp. in-8. « VRAIMENT, MADAME, JE NE SAIS PAS CE QUE MA DERNIERE LETTRE AVOIT DE PLUS AIMABLE QUE LES AUTRES. EST-CE QUE JE PAROISSOIS VOUS Y AIMER DAVANTAGE ? Cela peut être, puisque l’amitié, dit-on, s’augmente en vieillissant. JE CROIS SENTIR QUE JE DEVIENS LE MEILLEUR HOMME DE LA TERRE. JE RADOTE UN PEU ; MES CHEVEUX BLANCHISSENT ET BIENTOT ON ME MENERA PAR LE BOUT DU NEZ OU L’ON VOUDRA. Mais ce qu’il y a de dur, c’est que j’oublie tout à fait à écrire, et ma main tremble si fort que je ne puis plus former mes lettres. Que dites-vous donc d’une tragédie ? Ne vous ai-je pas mandé cent fois que j’en ferois une ? Qu’elle s’appelloit MOYSE AU MONT SINAÏ et que j’en avois deux actes complets ? J’ajouterai que je crois ces deux actes excellens, me voilà comme m[a]d[am]e de Staël. Enfin, il faut bien aussi quelquefois que je me vante. Mais d’ailleurs soyez tranquille. SI MA TRAGEDIE N’EST PAS UN CHEF-D’ŒUVRE, SI ELLE NE ME PLACE PAS AU PREMIER RANG, JE LA JETTERAI AU FEU SANS HESITER, puisqu’après tout ce n’est pas là que j’ai placé ma gloire. Vous voilà rassurée. Au reste, j’ai fait des vers vingt ans de ma vie avant d’avoir écrit une ligne de prose, ainsi je ne suis pas à mon coup d’essai quant à l’instrument. Mais c’est une terrible œuvre que celle où il faut faire marcher de front l’intérêt dramatique, les caractères, les passions et le style. Je ne me doutois pas de la pesenteur de ce fardeau avant d’avoir essayé de le soulever. Dans huit mois d’un travail continuel, je n’ai pu mettre debout que deux actes. Nos tragiques modernes vont plus vite en besogne. Vous demanderez à présent comment il y a une tragédie dans Moyse au mont Sinaï ? C’est là mon secret que je n’ose hazarder à la poste. Vous verrez cela cet hyver. Nous pardonnerons donc à M. de L... [le duc Gaston-Pierre-Marc de Lévis, cousin par alliance de madame de Duras, auteur de plusieurs ouvrages de littérature] et nous chercherons ailleurs pour completter le reste. Je ne doute pas que nous ne parvenions à remplir toutes les actions. Remettez à m’envoyer vos petits arbres à mon retour de Loné vers la fin de ce mois... Chère sœur, c’est demain le jour des morts ; priez pour tous les parens que j’ai perdus comme je prie pour les vôtres. Mille tendresses... » Le château de Lonné, sur l’actuelle commune d’Igé dans le département de l’Orne, appartenait à Nicolas d’Orglandes, futur pair de France, beau-père du neveu de Chateaubriand, Geoffroy-Louis. Plusieurs membres de la famille de l’écrivain avaient été exécutés durant la Révolution, dont son frère Jean-Baptiste de Chateaubriand, père de Geoffroy-Louis. « MA SŒUR » LA DUCHESSE DE DURAS. Fille d’un conventionnel guillotiné sous la Terreur, Claire de Kersaint (1777-1819) épousa en émigration le duc de Duras et rentra sous le Consulat. Sous la Restauration, elle tint un brillant salon littéraire, et écrivit elle-même plusieurs œuvres de fiction, dont le célèbre Ourika. Elle rencontra Chateaubriand en 1808, et nourrit bientôt pour lui une amitié admirative et amoureuse – quoique platonique. Jusque vers 1824, ils se virent presque chaque jour à Paris, et échangèrent une correspondance régulière quand ils étaient séparés. La duchesse de Duras favorisa à la Cour la carrière de Chateaubriand, lui obtenant entre autres l’ambassade de Berlin et son envoi au Congrès de Vérone. Dans les Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand tracerait d’elle un portrait concis mais laudatif, la décrivant comme « cette personne si généreuse, d’une âme si noble, d’un esprit qui réunissait quelque chose de la force de la pensée de Mme de Staël à la grâce du talent de Mme de La Fayette ».

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CHATEAUBRIAND (François-René de). Lettre autographe [à la duchesse de Duras]. La Vallée-aux-Loups [actuel département des Hauts-de-Seine], 1er novembre 1811. 4 pp. in-8. « VRAIMENT, MADAME, JE NE SAIS PAS CE QUE MA DERNIERE LETTRE AVOIT DE PLUS AIMABLE QUE LES AUTRES. EST-CE QUE JE PAROISSOIS VOUS Y AIMER DAVANTAGE ? Cela peut être, puisque l’amitié, dit-on, s’augmente en vieillissant. JE CROIS SENTIR QUE JE DEVIENS LE MEILLEUR HOMME DE LA TERRE. JE RADOTE UN PEU ; MES CHEVEUX BLANCHISSENT ET BIENTOT ON ME MENERA PAR LE BOUT DU NEZ OU L’ON VOUDRA. Mais ce qu’il y a de dur, c’est que j’oublie tout à fait à écrire, et ma main tremble si fort que je ne puis plus former mes lettres. Que dites-vous donc d’une tragédie ? Ne vous ai-je pas mandé cent fois que j’en ferois une ? Qu’elle s’appelloit MOYSE AU MONT SINAÏ et que j’en avois deux actes complets ? J’ajouterai que je crois ces deux actes excellens, me voilà comme m[a]d[am]e de Staël. Enfin, il faut bien aussi quelquefois que je me vante. Mais d’ailleurs soyez tranquille. SI MA TRAGEDIE N’EST PAS UN CHEF-D’ŒUVRE, SI ELLE NE ME PLACE PAS AU PREMIER RANG, JE LA JETTERAI AU FEU SANS HESITER, puisqu’après tout ce n’est pas là que j’ai placé ma gloire. Vous voilà rassurée. Au reste, j’ai fait des vers vingt ans de ma vie avant d’avoir écrit une ligne de prose, ainsi je ne suis pas à mon coup d’essai quant à l’instrument. Mais c’est une terrible œuvre que celle où il faut faire marcher de front l’intérêt dramatique, les caractères, les passions et le style. Je ne me doutois pas de la pesenteur de ce fardeau avant d’avoir essayé de le soulever. Dans huit mois d’un travail continuel, je n’ai pu mettre debout que deux actes. Nos tragiques modernes vont plus vite en besogne. Vous demanderez à présent comment il y a une tragédie dans Moyse au mont Sinaï ? C’est là mon secret que je n’ose hazarder à la poste. Vous verrez cela cet hyver. Nous pardonnerons donc à M. de L... [le duc Gaston-Pierre-Marc de Lévis, cousin par alliance de madame de Duras, auteur de plusieurs ouvrages de littérature] et nous chercherons ailleurs pour completter le reste. Je ne doute pas que nous ne parvenions à remplir toutes les actions. Remettez à m’envoyer vos petits arbres à mon retour de Loné vers la fin de ce mois... Chère sœur, c’est demain le jour des morts ; priez pour tous les parens que j’ai perdus comme je prie pour les vôtres. Mille tendresses... » Le château de Lonné, sur l’actuelle commune d’Igé dans le département de l’Orne, appartenait à Nicolas d’Orglandes, futur pair de France, beau-père du neveu de Chateaubriand, Geoffroy-Louis. Plusieurs membres de la famille de l’écrivain avaient été exécutés durant la Révolution, dont son frère Jean-Baptiste de Chateaubriand, père de Geoffroy-Louis. « MA SŒUR » LA DUCHESSE DE DURAS. Fille d’un conventionnel guillotiné sous la Terreur, Claire de Kersaint (1777-1819) épousa en émigration le duc de Duras et rentra sous le Consulat. Sous la Restauration, elle tint un brillant salon littéraire, et écrivit elle-même plusieurs œuvres de fiction, dont le célèbre Ourika. Elle rencontra Chateaubriand en 1808, et nourrit bientôt pour lui une amitié admirative et amoureuse – quoique platonique. Jusque vers 1824, ils se virent presque chaque jour à Paris, et échangèrent une correspondance régulière quand ils étaient séparés. La duchesse de Duras favorisa à la Cour la carrière de Chateaubriand, lui obtenant entre autres l’ambassade de Berlin et son envoi au Congrès de Vérone. Dans les Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand tracerait d’elle un portrait concis mais laudatif, la décrivant comme « cette personne si généreuse, d’une âme si noble, d’un esprit qui réunissait quelque chose de la force de la pensée de Mme de Staël à la grâce du talent de Mme de La Fayette ».

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