LU Lefèvre-Utile, Un patrimoine à croquer

mercredi 19 septembre 2018
Mille façons de le croquer et presque autant d’angles pour l’aborder. Le patrimoine LU Lefèvre-Utile s’inscrit dans l’histoire des arts décoratifs, de la publicité, de l’industrie. Il fonde aussi une histoire des sens qui nous réunit. Une histoire commune, à partager sans modération à l’occasion de deux expositions, et de deux ventes menées par Damien Leclère le 19 septembre, puis dans le courant du dernier trimestre 2018, à Paris, à l’Hôtel Drouot.
Servies sur un plateau : quelque 1000 pièces réparties en plus de 600 lots, dont près de 380 lots présentés le 19 septembre. Un assortiment sans précédent sur le marché. Le dernier ensemble d’une telle importance conservé en main privée. La part la plus intime de l’aventure LU.
 
Vincent Bocchino, Les enfants à la vitrine, 1904,
Gouache et encre sur carton, 65 x 50 cm
Estimation : 25 000-30 000 €
 
Réunies par Olivier Fruneau-Maigret, qui contribue depuis plus de quinze ans à la valorisation du Fonds LU Lefèvre-Utile, ces pièces ont pour la plupart été directement acquises auprès de la famille Lefèvre-Utile.
 
Leur provenance constitue l’essence de cette collection et offre un point de vue inédit : elle raconte de l’intérieur l’extraordinaire histoire de LU, celle d’une réussite familiale et industrielle hors du commun, celle de collaborations sans pareilles avec les grands noms de l’Art Nouveau, de l’Art Déco et du design, d’Alfons Mucha à Raymond Loewy, celle de la modernité.
 
La fraîcheur de cet ensemble, dans un état extraordinaire de conservation, étonne. Certaines pièces ont fait l’objet d’expositions, d’autres sont présentées pour la première fois. Toutes rendent hommage à une volonté familiale exceptionnelle, relayée par cinq générations, de constituer, de préserver et de transmettre un patrimoine qui appartient aujourd’hui à l’histoire.
 
La fraîcheur de cet ensemble tient aussi à sa modernité : d’un siècle à l’autre, les Lefèvre-Utile innovent. Vers 1850, à Nantes, dans leur pâtisserie de la rue Boileau, Jean-Romain Lefèvre, arrivé avec des recettes de sa Lorraine natale, et son épouse Pauline-Isabelle Utile, réinventent le biscuit pour en faire un produit de luxe. Leur fils, Louis, qui reprend dans les années 1880 le flambeau de l’affaire familiale devenue florissante, va inscrire leurs noms dans l’histoire. Sur le modèle des Anglais, qui tiennent alors le monopole du marché biscuitier, il fait entrer le biscuit français dans l’ère de l’industrie et de l’image. Et distancie bientôt ses rivaux d’Outre-Manche sur le terrain de ce que l’on ne nomme pas encore la publicité.
 
Visionnaire et d’une audace sans bornes, Louis Lefèvre-Utile explore et exploite dès les années 1885 toutes les ressources de la publicité avant la lettre – du packaging au marketing, et du mécénat au sponsoring. Pour créer l’image de Lefèvre-Utile, qu’il circonscrit progressivement, de 1882 à 1891, dans deux initiales  mémorables au potentiel graphique fort, il sollicite les artistes et les maisons d’artisanat d’art de son temps. Firmin Bouisset, Luigi Loir, Alfons Mucha, Vincent Bocchino, mais aussi Les Ateliers de Sèvres, la Faïencerie de Sarreguemines, Christofle, Baccarat… Pour vanter sa marque, il fait appel aux célébrités de l’époque – notamment Sarah Bernhardt, Anatole France, Auguste Bartholdi – auxquelles il dédie de 1904 à 1912, les Albums des contemporains célèbres, dont les images sont à collectionner dans les paquets de Petit-Beurre. Pour offrir une renommée internationale à ses biscuits, il les associe aux grands événements contemporains et devient le premier sponsor de l'histoire de l'industrie : visite du Tsar à Paris, Exposition Universelle de 1900, expéditions du Commandant Charcot, exploits des aviateurs Santos-Dumont et Blériot…
 
Louis Lefèvre-Utile propulse LU dans la modernité. Deux générations, incarnées par Michel Lefèvre-Utile, puis Patrick Lefèvre-Utile, le relayent. 
Michel Lefèvre-Utile s’attache à la modernisation industrielle des usines, développe de façon stratégique le réseau commercial, et amorce une collaboration avec le publiciste André Maurus, qui introduit pour la première fois en France la photographie dans le packaging.
 
Patrick Lefèvre-Utile trouve son inspiration aux États-Unis, comme son grand-père avait trouvé la sienne en Angleterre. En 1945, il y rencontre le grand pionnier du design industriel Raymond Loewy qui crée en 1956 le célèbre logo LU : la marque LU entre puissamment dans l’ère du design et l’époque contemporaine. La modernité de cette collection est encore celle des images qu’elle embrasse. Modernité des Enfants à la vitrine, 1904, de Vincent Bocchino, préfigurant l’oeuvre de Norman Rockwell dans les années 1950. Modernité des sujets féminins, abordés avec prédilection et chargés d’une sensualité nouvelle au tournant du siècle…
 
LU s’ouvre à nous comme un éventail. À travers une large typologie d’objets, œuvres originelles, archives du quotidien et trésors mémoriels déploient, façonnent et animent son histoire intime. 
 
Le Premier dessin du Petit-Beurre, 1886 (est. 2 000-3 000 €) naît sous la main de Louis Lefèvre-Utile. La Jeune fille au Petit-Beurre, 1890, de Firmin Bouisset (est. 7 000-8 000 €) et Les Enfants à la vitrine, 1904, de Vincent Bocchino (est. 25 000-30 000 €), s’apprêtent, selon le mot de Louis Lefèvre-Utile, à « séduire l’oeil pour susciter la gourmandise ». Les maquettes de seaux à biscuits attribuées aux Ateliers de Sèvres et de la Maison Baccarat promettent les plus beaux écrins. L’École des Arts Appliqués à l’Industrie de Paris aborde le célèbre monogramme comme un motif qu’elle imbrique à l’envi. André Maurus lui donne de la hauteur et l’associe à la photographie. Raymond Loewy élabore en rouge et blanc le puissant logo et les habillages de
boîtes qui s’emparent des rayons pour quatre décennies.
 
Louis Lefèvre-Utile, Premier dessin du Petit-Beurre,
1886, déposé en 1888
Estimation : 2 000-3 000 €

 
Avec la complicité des artistes et des plus grands artisans d’art, les biscuits Lefèvre-Utile font preuve d’une inventivité exemplaire pour s’installer dans les foyers et dans l’imaginaire collectif. À la pointe des techniques d’impression, ils s’y affichent et s’y déclinent sur papier ou sur métal. Ils s’y invitent dans des « Tin box » parées des couleurs éclatantes d’Alfons Mucha. Ils y entrent en tramway, à l’instar d’une boîte-jouet de 1894 (est. 3 000-4 000 €), à pas de chats ou de souris, sur patins à glace ou en bateau, par l’entremise de  Georges Riom, Marcel Simas et Luigi Loir. Ils arrivent sur un plateau en faïence de Sarreguemines (est. 500-
700 €), se font pratiques, à l’initiative de L’Utile, circa 1932, distributeur de Petit-Beurre aux lignes Art Déco (est. 800-1 000 €), s’offrent le luxe d’une boîte bonbonnière Christofle en métal martelé et ébène de  Macassar, 1937 (est. 400-600 €), ou confient au coq d’une boîte Biscuits de France designée par Raymond  Loewy, vers 1956 (est. 80-100 €), le soin de chanter leurs louanges sur le marché américain.
 
Alfons Mucha, Gaufrettes vanille, habillage pour boite de format cubique dite « Tin box »,
vers 1898, chromolithographie sur papier, imprimerie Ferdinand Champenois
Estimation : 800-1 000 €

Pas un jour ne passe sans que LU n’imprime sa marque. En témoignent les Séries annuelles, pour la première fois reconstituées au complet de 1891 à 1920, à travers 25 calendriers et autant de collaborations artistiques. Alfons Mucha est à l’honneur de l’année 1897 avec La Femme aux coquelicots, tirage avant la lettre estimé 6 000-8 000 €. Les biscuits Lefèvre-Utile ne rythment pas seulement le quotidien : ils vivent au rythme de leur époque. La création des biscuits « Néva » et le lancement de la nouvelle gaufrette vanille « Iceberg » s’associent à des évènements qui font date. Représenté par un rare panonceau (est. 1 200-1 500 €), « Néva » célèbre l’accord franco-russe de 1892. Illustrée par une oeuvre originale de Luigi Loir, huile et
dorure sur carton, datée vers 1902 (est. 20 000-25 000 €), la gaufrette « Iceberg » répond à l’engouement pour la conquête des pôles et fait écho aux expéditions de l’océanographe Jean-Baptiste Charcot en 1903, à bord du Pourquoi pas ? puis du Français, dont l’équipage sera approvisionné par LU.
 
En creux de l’histoire de LU, la Collection Olivier Fruneau-Maigret raconte l’histoire d’une famille dont elle conserve la mémoire. Mémoire de Jean-Romain Lefèvre, ce lorrain arrivé à Nantes en 1846 pour y prendre une place de pâtissier, incarnée par un l’unique portrait photographique connu de lui (est. 300-500 €).  Mémoire de cette pâtisserie, où l’histoire débuta, restituée par le premier emballage connu de la pâtisserie Lefèvre-Utile alors nommée « Fabrique de biscuits de Rheims », impression sur papier dit porcelaine, vers 1855 (est. 800-1 000 €), ou encore par de rarissimes boîtes modulaires encore empreintes d’un parfum de vanille, vers 1875 (est. 150-200 € chaque). 
 
Mémoire de deux générations réunies dans un ensemble de portraits par Alexandre-Jacques-Chantron : Madame Jean-Romain Lefèvre, née Pauline-Isabelle Utile, 1895 (est. 7 000-10 000 €), Louis Lefèvre-Utile fils, 1890 (est. 3 000-4 000 €) et Madeleine Lefèvre-Utile, fille de Louis Lefèvre-Utile, 1890 (est. 3 500-4 000 €). Mémoire de Louis Lefèvre-Utile, saluée par 54 photographies prises par ses soins lors de l’Exposition Universelle de 1900 (est. 1200-1 500 €), seules images connues de l’intérieur du Pavillon LU, récompensé par le Grand Prix. 
 
La famille Lefèvre-Utile est aussi celle que forment les employés de la manufacture autour de Louis Lefèvre-Utile. Une famille toujours plus grande – qui réunit 14 ouvriers en 1885, 130 en 1889, 700 en 1900 – dont l’organisation et les usages écrivent une page de l’Histoire. Pour fêter la Saint-Louis en 1895, les employés de la Maison Lefèvre-Utile adressent à Monsieur Lefèvre-Utile une invitation (est. 150-250 €). En 1896, à l’occasion du 50e anniversaire de la Maison – une « belle fête » qui « honore autant les patrons que les ouvriers, autant les ouvriers que les patrons » – Monsieur Lefèvre-Utile « distribue généreusement », « à titre de gratification », « un coquet porte-monnaie souvenir à l’effigie du traditionnel et populaire Petit-Beurre » (est. 800-1 000 €) assorti d’un Louis d’or équivalent à une semaine de salaire, et reçoit, « en hommage » de ses employés qui « expriment leur reconnaissance », une sculpture en bronze de Laoust, L’Industrie, que l’on peut admirer à l’Exposition Universelle de 1900 - et aujourd’hui au Musée d’Histoire de Nantes.
 
Les archives de l’entreprise témoignent par ailleurs de l’évolution des pratiques publicitaires et commerciales au XXe siècle, à travers celles de ses représentants. Entre 1926 et 1940, Monsieur Daoulas, peintre en lettres, part dans son camion à échelle à la recherche de façades à investir au nom de LU contre loyer, et soumet ses maquettes à l’encre et aux crayons de couleur (est. 800-1200 €). Les années 1960 sont incarnées par une rare mallette de représentant ouvrant sur sept boites d’André Maurus et Raymond Loewy (est. 800-1 200 €).
La seconde partie de la Collection Olivier Fruneau-Maigret sera vendue dans le courant du dernier trimestre 2018. Elle comprend notamment : 

- Un tracé à l’encre de Chine sur papier par Alfons Mucha, vers 1904, oeuvre préparatoire au seau à biscuits Les Femmes aux fleurs (est. 15 000-20 000 €)

- Le pastel original des Partageux, vers 1896, oeuvre préparatoire de la Série annuelle de 1896, qui sera déclinée sur différents supports dont des affiches de rue, et amorce le thème de l’enfance un an avant la naissance du Petit écolier de Firmin Bouisset (est. 8 000-10 000 €) 

- Un rare vitrail d’après Adrien Karbowsky, composé de huit plaques en verre émaillé polychrome (116 x 69 cm), qui ornait l’une des fenêtres du Pavillon LU à l’Exposition Universelle de 1900 (est. 3 000-4 000 €)

- Un émouvant recueil de recettes de la Pâtisserie Lefèvre-Utile, très probablement rédigé sous la dictée de Jean-Romain Lefèvre entre 1850 et 1882 (est. 1 500-2 000 €) 

- Une maquette du plafond du magasin de vente de la Maison LU, 7, rue Boileau, datée février 1901, huile sur panneau (est. 1 000-1 500 €)

- Une édition du compte rendu du procès en propriété intellectuelle qui opposa, de 1889 à 1892, Louis Lefèvre-Utile au biscuitier bordelais Olibet au sujet de l’appellation Petit-Beurre (est. 150-200 €)
 
 Firmin Colas et Louis Lefèvre-Utile, Boîte-jouet Tramways de Nantes, 1894
Estimation : 3 000-4 000 €

Olivier Fruneau-Maigret naît à Nantes en 1976, à une époque où les effluves de biscuits parfument encore parfois un quartier entier de la ville. 

Il a 6 ans lorsqu’il ouvre un Album des célébrités contemporaines et plonge dans l’univers Lefèvre-Utile ; tout juste 11, lorsque qu’il croise pour la première fois Patrick Lefèvre-Utile, à qui sa tante antiquaire le présente à comme « un collectionneur LU en herbe ». S’ensuit en 1987 la rencontre mémorable de Pauline-Isabelle Utile, à travers un portrait par Alexandre-Jacques Chantron présenté lors de l’exposition « Les biscuiteries de Nantes » au Musée du Château des Ducs de Bretagne. Puis celle de Jacques Vidal de la Blache, journaliste et collectionneur érudit, qui à l’aune de ses 90 ans lui transmet ses connaissances, sa passion, et la pièce qui sera la première de sa collection : un tramway LU jaune.
 
Très vite, l’adolescent devient un collectionneur avéré. Sa passion le fait connaître des amateurs et marchands de la région nantaise. Et le fait sauter dans des trains pour Paris, sur le chemin de l’école buissonnière et de nouvelles acquisitions. Sa passion pour le patrimoine LU fera de lui un spécialiste des oeuvres sur papier, de la chromolithographie à l’affiche et à l’estampe, et un historien de la publicité… 

En 1999, au lendemain de l’exposition « L’Industriel et les artistes » dédiée au patrimoine Lefèvre-Utile au Musée du Château des Ducs, le jeune homme de 23 ans se présente à Patrick Lefèvre-Utile , qui lui ouvre ses portes comme celles de la collection familiale, et encourage sa passion.

En 2001, à la disparition de Patrick Lefèvre-Utile, son fils Louis Lefèvre-Utile s’appuie sur les connaissances d’Olivier Fruneau-Maigret pour réaliser un vaste inventaire du Fonds familial LU Lefèvre-Utile. Ce fonds, qui a partiellement rejoint en 1975, puis en 1997, sous forme de dépôt ou de don, trois institutions publiques (le Musée d’Histoire de Nantes au Château des Ducs, la DRAC et les Archives Départementales de Loire Atlantique), reste encore très largement conservé par la famille. Une dation est alors faite au Musée d’Histoire de Nantes, déjà résolument engagé dans la valorisation du Patrimoine LU Lefèvre-Utile. Une vente aura par ailleurs lieu chez Artcurial en 2003.

En 2003, Olivier Fruneau-Maigret participe ainsi comme spécialiste à la vente d'une partie de la Collection Lefèvre-Utile chez Artcurial. Très consciente de son patrimoine, la famille souhaite garder les témoignages de l’aventure Lefèvre-Utile qui lui sont les plus chers. Aux côtés de Louis Lefèvre-Utile, Olivier Fruneau-Maigret sélectionne les 260 pièces de la vente en privilégiant les doublons pour ne conserver que les pièces les plus fraiches et les plus rares de la collection. 
 
En 2007, les derniers héritiers Lefèvre-Utile interrogent l’avenir, la préservation et la valorisation de la collection familiale dont ils ont gardé le coeur. Ils font le choix de la transmettre à Olivier Fruneau-Maigret, qui acquiert alors directement auprès de Louis Lefèvre-Utile 320 pièces précieusement conservées dans la  famille. Louis Lefèvre-Utile confie ainsi à Olivier Fruneau-Maigret la totalité de la collection familiale encore en sa possession.
 
Dans les dix années qui suivent, publications et expositions dédiées au patrimoine LU Lefèvre-Utile se succèdent sous l’impulsion d’Olivier Fruneau-Maigret qui poursuit des recherches significatives sur cet ensemble et continue à l’enrichir.


 
Vente aux enchères publique n°1 - Drouot - Salle 9
Mercredi 19 septembre - 13h30

Exposition publique - 12 Drouot
Jeudi 13 septembre - 18h / 21h (Nocturne Drouot)
Vendredi 14 au mardi 18 septembre - 11h / 18h
Mercredi 19 septembre - 11h / 12h 

Pendant les Journées du Patrimoine


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De Baecque et Associés

LU Lefèvre-Utile, un patrimoine à croquer

Vente : mercredi 19 septembre 2018
Salle 9 - Hôtel Drouot - 9, rue Drouot 75009 Paris, France
Maison de vente
De Baecque et Associés
Leclere - Maison de ventes
Tél. 01.58.40.82.92 (Paris) - 04.72.16.29.44 (Lyon) - 04 91 50 00 00 (Marseille)