ADER ET ADER A&P - Deux tables de Jean Prouvé pour la Résidence universitaire Jean Zay

vendredi 03 juin 2022
Expert : Emmanuel Eyraud

Le 3 juin prochain, la maison de ventes Ader, en collaboration avec sa filiale Ader Entreprises & Patrimoine, proposera aux enchères à l’Hôtel Drouot deux exceptionnelles tables de Jean Prouvé, modèle Centrale dit Trapèze, version longue. Provenant directement de la résidence universitaire Jean Zay à Antony, elles ont été réalisées par l’architecte-designer en 1956 - sur un modèle conçu en 1952 - pour le réfectoire de l’établissement.

La vente aux enchères de ces tables s’inscrit dans un projet global et orchestré par leur propriétaire, le Crous de l’académie de Versailles qui se mobilise depuis six mois en s’appuyant sur des partenaires très aidants pour donner une seconde vie au mobilier de l’ancienne résidence universitaire Jean Zay.
 

JEAN PROUVÉ (1901-1984) – COLLECTION DU CROUS
(CENTRE RÉGIONAL DES ŒUVRES UNIVERSITAIRES ET SCOLAIRES) DE L’ACADÉMIE DE VERSAILLES.
Table centrale, dite communément Trapèze, version longue, la conception du modèle initiée en [1952], notre exemplaire réalisé en 1956 pour la Résidence universitaire Jean Zay à Antony.
Grande table rectangulaire prévue à l’origine pour un réfectoire de la Résidence universitaire d’Antony.
Le pied en tôle pliée, soudée et laquée noir. Le plateau, à la tranche chanfreinée, en stratifié à finition noire.
H. 73 cm – L. 332 cm – l. 72 cm
Provenance : Résidence universitaire Jean Zay à Antony.
Œuvres vendues au profit du Crous (Centre Régional des Œuvres Universitaires et scolaires) de l’académie de Versailles.
Estimation : 500 000 - 800 000 € (chacune)
 
aa La photo est éloquente : poings sur les hanches, manches remontées. C’est tout un pays, sinistré par la Seconde Guerre mondiale, qu’il faut reconstruire. Certaines régions sont plus touchées que d’autres ; dévastées pour être exact. C’est le cas de la Lorraine où vécut l’artisan ferronnier qui deviendra l’un des architectes et designers incontournables de l’après-guerre :  Jean Prouvé. Le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme fondé par le Gouvernement provisoire de la République fait appel à Prouvé dans différents projets de  reconstructions. C’est à ce titre qu’il livre, pour des écoles, universités et établissements culturels un mobilier et une  architecture fondés sur une logique de fonctionnalité et  féfendant une esthétique sans artifice, utilitaire avant tout. Le Ministère de l’Éducation Nationale, l’association des sinistrés de Lorraine et l’abbé Pierre, feront également appel à ses compétences, lui octroyant un rôle majeur au lendemain du  conflit dévastateur. Il s’agit de reconstruire le corps et l’esprit de  la nation. Façades, bâtiments, chaises, tables, salles de cours… Il faut faire vite et bien. Vite, bien, et beau. Car l’architecte est le fils du très talentueux – Victor Prouvé – un des fondateurs de l’École de Nancy, qui prônait déjà l’art pour tous, et l’art en tout. Il en est le continuateur. Chaque objet doit être beau, chaque architecture doit être de son temps.
 
« Légèreté, solidité, fluidité, modernité », ce sont les mots qu’emploie l’expert Emmanuel Eyraud au sujet des deux tables « Trapèze ». Définir une pièce de mobilier ou un ouvrage d’architecture avec de tels  adjectifs était encore impossible avant que Jean Prouvé n’ouvre ses ateliers. C’est l’industrie, à la pointe, qui permet de faire entrer ces mots dans le cahier des charges de Prouvé. Il les place au cœur de ses réalisations : construire pour le plus grand nombre, à grand renfort de feuilles d’acier, de plieuses, d’emboutisseuses, de tôles inoxydables laquées, de piètements fuselés et de plateaux mélaminés.

« La maison de mes rêves est fabriquée dans une usine » pour reprendre les mots exacts de l’architecte-designer : l’industrie au service du rêve. Ce rêve qu’il porte et auquel il se consacre, c’est celui d’entamer une nouvelle page d’Histoire, croire au progrès, s’engager pour un monde meilleur, standardiser et industrialiser pour permettre la démocratisation des équipements. Sa fascination pour l’ingénierie aéronautique, et son enthousiasme pour les idéaux avant-gardistes de Robert Mallet-Stevens et de le Corbusier joueront pour beaucoup dans la réalisation de ce rêve.
 
Jean Prouvé à Antony, un projet pilote pour les Résidences universitaires

Parmi les grands chantiers industriels de l’après-guerre, la construction des résidences universitaires est un projet majeur. Outre la nécessité de
loger près de 3 000 étudiants, pénalisés par le manque de logements détruits pendant la Seconde Guerre mondiale, ce programme vise aussi à construire l’environnement des « hommes de demain »*. 
En 1946, le ministère de l’Éducation Nationale demande l’étude de la création d’une résidence universitaire modèle à Antony. En 1952, une convention est signée entre l’Université de Paris et l’Office HLM du département de la Seine (devenu Hauts-de-Seine en 1968). 
La maîtrise d’œuvre de cette résidence universitaire est alors confiée à l’architecte et urbaniste Eugène Beaudouin, éminente figure de l’architecture moderne et architecte en chef des bâtiments civils et des palais nationaux depuis 1933 ; ce choix est explicite quant à la nature novatrice du projet. 

Antony abritera plus de 2 000 logements étudiants. Le site sera complété par la construction de divers espaces communs (bibliothèque, crèches,  centre médical, salle de spectacle, complexe sportif, restaurant universitaire). 





Pour répondre à cette commande publique, deux concours sont organisés. Un en 1955 pour l’aménagement des chambres d’étudiants (Jean Prouvé en meublera 148) et le second en 1956 pour les espaces collectifs avec comme directives pour l’ameublement « production industrielle et rationalisation de l’habitat ». Jean Prouvé, qui a déjà aménagé la Cité universitaire de Nancy en 1933 et la faculté de droit d’Aix-en-Provence en 1952, remporte, avec la société Mobilor le concours de l’aménagement des espaces collectifs. Ces deux acteurs ont pour mission de réaliser les vestiaires, les chaises et les tables pour le restaurant universitaire de la Résidence. La sous-commission technique retient le modèle de table Centrale dite Trapèze qui répond parfaitement aux prescriptions : une table avec un plateau de 2 mètres 20 ou de 3 mètres 30 qui reposerait sur un piétement en tôle d’acier pliée et laquée. Sa ligne, totalement novatrice, est énergique. Sa structure, quasiment architecturale, évoque la légèreté en même temps que la solidité. La frontière entre architecture et mobilier disparaît : le modèle devient une création emblématique du designer.

La table Trapèze : une création emblématique de Jean Prouvé
 
« L’idée principale de Jean Prouvé, celle que l’on reconnait tout de suite,
c’est celle d’un bâtisseur, d’un constructeur : ces tables ressemblent plus
à une architecture qu’à une création mobilière » Emmanuel Eyraud. 

Toute l’exception de cette table réside ici : le plateau ne repose pas sur des pieds mais sur un large piètement, massif, sculptural. La traverse centrale est en effet soudée sur deux plots en forme d’aile d’avion, qui reçoivent le plateau. Techniquement, cette prouesse est rendue possible grâce à l’acier, matériau souple, que l’on peut emboutir, profiler et qui répond aux critères de liberté et de rapidité chers à Jean Prouvé. 
L’homme, grand amoureux de l’acier, est en même temps l’architecte de l’urgence. Le piétement est profilé comme les ailes d’un avion : cette ligne aérodynamique confère une énergie, une tension à l’objet. «  Étant tout jeune déjà en 1914, j’étais un passionné de mécanique, un passionné d’aviation, un passionné de tout ce qui se créait à ce moment-là. A tel point que je n’ai eu qu’une idée, c’est de devenir pilote d’avion et je le suis devenu » Jean Prouvé en 1983.
En 1951 déjà, Jean Prouvé et Charlotte Perriand avaient conçu des tables pour l’École de Médecine avec un piétement trapézoïdal en tôle pliée. Ce projet servira de matrice à la table Centrale dessinée en  1952, puis réalisée en 1956 pour la résidence universitaire Jean Zay.

Le Crous et le Patrimoine du XXe siècle

Le Crous participe à la préservation de ce patrimoine, par la conservation au sein de son inventaire et par le dépôt et par le don aux collections publiques nationales de pièces uniques retrouvées et d’exemplaires témoins des autres modèles remarquables. À partir de 1990, certains bâtiments de la Résidence universitaire Jean Zay, en mauvais état, ont été détruits. Son propriétaire, le Crous de  l’académie de Versailles, soucieux de la préservation du patrimoine, céda alors une partie du mobilier qui équipait les établissements. C’est à l’initiative du Crous, conscient de l’intérêt de ces tables Centrale de Jean Prouvé, que trois d’entre-elles ont rejoint les collections nationales : une au Musée des Arts Décoratifs, une au Musée National d’Art Moderne–Centre Georges Pompidou, la dernière (encore  aujourd’hui la propriété du Crous) en dépôt au Musée des Beaux-Arts de Nancy. En 2016 le Crous a cette fois fait le choix de conserver, dans un garde-meuble, l’intégralité du mobilier restant qui datait de la construction de la Résidence. Le mobilier conservé par le Crous de Versailles était principalement destiné aux chambres d’étudiants.
 
« Le Crous de l’académie de Versailles donne une seconde vie au mobilier réformé de la Résidence universitaire Jean Zay à travers quatre ventes innovantes dans leur 
format éco-responsable et solidaire. » Elsa Joly-Malhomme

Ce sont des designers comme Raphaël Raffel, Marcel Gascoin, Pierre Guariche, Jean Domps, Roger Landault ou Robert Charroy qui ont conçu la majeure partie de ce mobilier édité par la société Mobilor : les matières traditionnelles comme le bois y rencontrent la modernité des structures métalliques tubulaires. Du bureau aux meubles d’appoints, les étudiants évoluent alors dans des ensembles à la fois unifiés et fonctionnels. Certains des designers mobilisés dans l’ameublement de la résidence d’Antony, comme Guariche ou Gascoin, ont par ailleurs participé aux côtés de Prouvé et Perriand au mouvement de l’Union des Artistes Modernes, actif entre 1929 et 1958. 
Au cours de cette opération, le Crous a identifié deux ensembles de mobilier de bureau « direction » du XXe siècle attribués aux designers Raphaël RAFFEL (1912-2000) et Pierre CHAPO (1927-1987) qu’il conservera comme témoins de cette riche histoire patrimoniale. Enfin, un don de pièces de mobilier meublant une chambre d’étudiant a été proposé à la ville d’Antony afin que certains objets puissent être conservés sur le lieu pour lequel ils ont été produits.



Vente aux enchères publique - Hôtel Drouot - Salle 1/7
Vendredi 3 juin 2022 - 14h

Exposition publique - Hôtel Drouot - Salle 1/7
Mercredi 1er juin 2022 - 11h/18h
Jeudi 2 juin 2022 - 11h/21h
Vendredi 3 juin 2022 - 11h/18h

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Arts décoratifs du XXe, design et sculptures

Vente : vendredi 03 juin 2022
Salle 1-7 - Hôtel Drouot - 9, rue Drouot 75009 Paris, France
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Tél. 01.53.40.77.10