KÂ-MONDO - Trois manuscrits illuminent la vente

vendredi 11 mars 2022


Vendredi 11 mars, les Livres et Manuscrits étaient à l'honneur chez Kâ-Mondo, lors de la traditionnelle vente du premier semestre de la maison de ventes. Trois lives d'heures des XVe et XVIe siècles en étaient les vedettes.

Le premier, un manuscrit enluminé du XVIe siècle, était le livre d'heures d'Antoine de Savoie-Raconis et Jeanne de Pontevès, à l'usage de Rome. Issu d'un atelier italien, il a été réalisé à Florence ou Ferrare vers 1520 et est illustré de 12 miniatures à pleine page et de 9 lettrines historiées. Estimé entre 50 000 et 80 000 €, le précieux livre a été emporté pour 226 800 €*.

Les écus d’armes qui figurent à plusieurs reprises dans les marges appartiennent à une branche de la maison de Savoie, princes d’Achaïe et de Morée. À la mort de Louis de Savoie-Achaïe, seigneur de Piémont (1364-1418), ces armes furent relevées par son fils illégitime Louis, seigneur de Raconis (1390-1459), qui obtint de la branche aînée la permission de les transmettre à ses descendants. À ces armes ont été adjointes, à trois reprises, celles de la maison provençale de Pontevès. La date probable de réalisation du manuscrit, dans les premières décennies du XVIe siècle, invite à rapprocher ces armes de Claude de Savoie-Raconis, qui vivait encore en 1519, et plus particulièrement de son fils Antoine, mort en 1552. Antoine de Savoie-Raconis avait en effet épousé, en 1528, Jeanne de Pontevès (1499-v.1555), après la mort de son premier époux Luciano Grimaldi, seigneur de Monaco. Le lien ininterrompu entre la maison de Savoie-Raconis et les possesseurs ultérieurs du manuscrit est confirmé par une note inscrite au verso du premier feuillet de la Messe de la Vierge : « Ces heures sont à moy, Loyse de Condé, dame de Laval, pour ne les bailler jamais à aultre qu’à ceulx de la Maison de Laval ». Sous ce nom, il convient de reconnaître Louise de Viette, dame de Condé, morte en 1586. Elle avait épousé en 1505 Honoré de Castellane, seigneur de Laval, lui-même affilié aux maisons de Savoie-Raconis et de Sabran-Pontevès. Sous le même nom de Louise de Condé, dame de Laval, elle apparaît à trois reprises dans les archives de la famille de Quiqueran de Beaujeu aux côtés de Renée et Madeleine de Castellane, dans l’affaire qui les opposa aux meurtriers de Jean-Baptiste de Castellane en 1565. L’écriture de l’inscription, volontairement effacée, suggère de situer la transmission du manuscrit dans la seconde moitié du XVIe siècle. Antoine de Savoie-Raconis et Jeanne de Pontevès n’eurent qu’un fils, mort après 1522, et c’est sans doute après la mort de Jeanne en 1555 que le livre changea de mains, pour entrer en possession de Louise de Laval, d’où il échut, par alliances avec la maison de Castellane, à ses actuels propriétaires.

Le décor de ce livre d’heures se distingue par l’exquise finesse du traitement des figures, la richesse chromatique de la palette et la diversité des motifs ornant les marges. Les frontispices illustrés qui ornent le recueil présentent un style caractéristique des ateliers de Ferrare et de Florence actifs entre la fin du XVe et le premier tiers du XVIe siècle. Leurs amples marges, chargées de rinceaux chatoyants et mouchetés d’or, sont enrichies de médaillons de formes variées accueillant des bustes de prophètes et de saints. Le style de ces compositions élaborées, offrant une lecture typologique où les scènes bibliques font écho à de saints personnages, reflète fidèlement les productions italiennes des années 1460 à 1530.

        


Le second ouvrage, un manuscrit enluminé du XVe siècle, est le livre de prières de Guillaume Doulcet de Pontécoulant, à l'usage de Sarum (i.e. Salisbury). Estimé entre 30 000 et 40 000 €, le livre miniature (9,2 x 7,4 cm), a été acquis pour 151 200 €* au cours de la vacation. Vraisemblablement produit en Flandres pour un commanditaire normand de la fin du XVe siècle, il compte 62 miniatures, dont 44 à plein page auxquelles s'ajoutent 8 miniatures d'une demi-page, 10 lettrines historiées et de très nombreuses initiales enluminées et dorées.

Sous la miniature de saint Georges (p. 57) figure un écu d’argent à la croix de sable, fleurdelisée d’or : il s’agit des armes de la famille Doulcet, originaire de Savoie, établie en Basse-Normandie à la fin du XIVe siècle. La datation du manuscrit dans le dernier tiers du XVe siècle suggère d’identifier le commanditaire à Guillaume Ier Doulcet, écuyer, seigneur de Pontécoulant. C’est peut-être en raison des faits d’armes attribués à son père Jean Ier, défenseur héroïque du Mont-Saint-Michel face aux Anglais en 1423, qu’il fut maintenu dans sa noblesse en 1463 par Raymond Montfaud, général des monnaies de Normandie. Sur la foi de plusieurs actes notariés, l’on apprend que Guillaume Ier Doulcet était encore en vie en 1464 et 1471, et déjà éteint en 1483 (Chaix d’Est-Ange 1915, p. 195-196). Son fils Guillaume II, né autour de 1450 et mort en mai 1501, pourrait également avoir commandité le manuscrit.

Le manuscrit se présente comme un recueil de prières en mémoire des saints, auxquelles sont adjointes les Heures de la Vierge et un ensemble de prières pénitentielles. L’influence anglaise est nettement perceptible dans le choix des saints commémorés et représentés, tels que saint Georges (p. 57-60), Erkenwald de Londres (p. 66-68), Thomas de Cantorbéry (p. 94-98), Édouard le Confesseur (p. 114-116) et Jean de Beverley (p. 144-146). Le fait que les Heures de la Vierge (p. 205-247) suivent l’usage anglais dit de Sarum (secundum consuetudinem Anglie) n’est pas pour surprendre, dans la mesure où cet usage, originellement lié à la cathédrale de Salisbury, s’était largement diffusé dans les Îles Anglo-Normandes et une partie de l’Europe du Nord à la fin du Moyen-Âge. Les Quinze oraisons attribuées à sainte Brigitte de Suède (p. 5-24), en vogue à partir du XVe siècle, ont elles-mêmes été diffusées dans des manuscrits latins et anglais, signe de leur succès dans le monde anglo-normand.

62 miniatures constituent le décor de ce manuscrit, auxquelles s’ajoutent de très nombreuses lettrines historiées et dorées. Quarante-quatre miniatures à pleine page (52 x 35mm) forment frontispice aux différentes parties de l’office et aux oraisons. Les protagonistes des scènes bibliques ainsi que le commanditaire, lui-même représenté à plusieurs reprises, y sont figurés devant des paysages d’une réelle finesse, où se distingue un traitement élaboré de la perspective atmosphérique que ponctuent d’élégantes représentations architecturales, souvent rehaussées d’or. Huit miniatures d’une demi-page, inscrites dans un cadre doré (32 x 36mm), s’y ajoutent, introduisant les différentes sections des Heures de la Vierge (p. 205-247; 271-335).
 

        
 

Le troisième manuscrit, également du XVe siècle, est le livre d’heures de Jean de Mahieu et Jacqueline de Sivry, à l’usage de Tournai, produit aux Pays-Bas méridionaux vers 1475-80. L’ouvrage est illustré de 22 miniatures à pleine page et de nombreuses lettrines, réalisé par un atelier flamand pour un couple de drapiers de la fin du XVe siècle. Estimé entre 10 000 et 15 000 €, il a été vendu 35 280 €*.

Les commanditaires de ce livre d’heures ont été représentés en prière aux pieds de la Vierge, deux anges tenant au-dessus d’eux leurs armes respectives. La combinaison de ces armes permet d’identifier Jean Antoine de Mahieu, écuyer, seigneur de Bosqueau, fils cadet d’Henri de Mahieu et Isabeau de Landas, né vers 1460. Auprès de lui se tient son épouse Jacqueline de Sivry, dame de Buath. Cette famille d’ascendance ancienne, originaire de la région de Cambrai, a compté de nombreux drapiers et échevins aux XIVe, XVe et XVIe siècles, notamment à Mons et Audenaarde. Le calendrier confirme une origine dans les Pays-Bas méridionaux : plusieurs saints particulièrement honorés au diocèse de Tournai y apparaissent, dont certains ne sont attestés que dans quelques manuscrits provenant des diocèses de Cambrai, Liège et Tournai. La dénomination néerlandaise de sainte Livrade («Ontkommer»), absente du calendrier mais à qui une oraison est dédiée, appuie enfin l’origine flamande du manuscrit; le culte de cette sainte, attesté à partir du XVe siècle, a précédé son entrée au Martyrologe romain en 1583.

22 miniatures à pleine page (107 x 62 mm) illustrent ce livre d’heures, marquant le début des différentes sections de l’office divin. Les miniatures prennent place sous un liseré doré inscrit dans un encadrement à large bord (140 × 100mm). Les marges, tapissées de rinceaux de feuillage émaillés de fleurs et de fruits, sont habitées d’animaux, de créatures fantastiques hybrides – chimères et oiseaux à tête humaine –, et de personnages d’allure grotesque jouant des instruments de musique. Quatre miniatures de plus petit format (37 x 32mm) indiquent en outre le commencement des lectures des quatre Évangiles qui suivent la fin de la Messe de la Vierge.
 

        
 

Enfin, d’une toute autre époque, les 132 lithographies d’Alphons MUCHA (1860-1939) illustrant Ilsée princesse de Tripoli de Robert de Flers estimées entre 1 500 et 2 000 € ont été acquises 9 828 € (lot 163), les deux menus signés et datés de 1922 par Raoul DUFY (1877-1953) se sont envolés 16 380 €* (estimation : 2 000 – 3 000 € ; lot 104), les 12 poèmes de Paul Valéry illustrés par des lithographes de Jean COCTEAU (1889-1963) ont trouvé preneur à 14 112 €* (estimation : 3 500 – 4 000 € ; lot 136) et les 10 lithographies que Zao WOU-KI (1921-2013) a réalisé pour illustrer La tentation de l’Occident d’André Malraux ont changé de mains pour 12 600 €* (estimation : 3 000 – 3 500 € ; lot 207).
 

                        



*montants frais compris


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Vente : vendredi 11 mars 2022
Salle 6 - Hôtel Drouot - 9, rue Drouot 75009 Paris, France
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Tél. 01 48 24 26 10