AGUTTES - 833 000 € pour un tableau de Max Ernst

lundi 16 décembre 2019

Lundi 16 décembre, un important tableau de Max ERNST (1891-1976) intitulé Projet de monument à Leonardo da Vinci a été vendu 833 000 €* par la maison Aguttes. L’œuvre était estimée entre 400 000 et 600 000 €.
 

Acteur majeur de l’Avant-garde du XXe siècle, Max Ernst est l’un des premiers artistes à s’intéresser à l’art brut, notamment à travers la peinture et les dessins que produisent les patients d’un hôpital psychiatrique, alors qu’il étudie la philosophie à l’Université de Bonn. S’entourant d’artistes, de poètes et de philosophes, il décide très jeune de ne consacrer sa vie qu’à la peinture. Grand ami d’André Breton, il est l’une des grandes figures des mouvements Dada et Surréalistes. Le Manifeste du Surréalisme, que publie Breton en 1924, réunit l’ensemble des procédés de création, depuis la peinture à l’écriture en passant par le cinéma et la sculpture. Le but de ce courant artistique novateur, empreint des découvertes de Freud et des débuts de la psychanalyse, est de se détacher entièrement des valeurs reçues et héritées du passé et de découvrir le lien entre le monde réel et celui du rêve, en se libérant du contrôle de la raison.

Toute la production de Max Ernst étudie le rapport entre l’inconscient, la psychologie et l’art. L’artiste s’essaye à l’écriture automatique et à la peinture sous l’influence de substances hallucinogènes. Il explique lui-même, lors d’un entretien avec Simone Arbois pour Paru en 1950 : « Il y a une part d’automatisme et une part de hasard. Cependant la personnalité s’y marque, de même que dans l’écriture. Dans l’opération qui peut sembler la plus hasardeuse, la main est guidée par on ne sait quelle intuition vers une forme ressemblante, non pas ressemblante à quelque chose, mais aux formes qui me hantent et que je hante ». Ainsi selon Ernst, même en cherchant à faire l’oeuvre la plus objective possible, la conscience humaine retrouve toujours des motifs connus.

En 1953, alors âgé de 62 ans, Max Ernst rentre définitivement des États-Unis où il s’était exilé au début de la Seconde Guerre mondiale, accompagné de sa quatrième épouse, l’artiste Dorothea Tanning. L’année suivante, en juin, il se voit décerner le Grand Prix de peinture à la XXVIIe Biennale de Venise. Ernst y dresse une rétrospective des trente dernières années de son œuvre.

Si ce prix représente pour lui la reconnaissance internationale, il lui vaut aussi d’être définitivement exclu du mouvement surréaliste, comme l’annoncent André Breton et onze autres membres du groupe en janvier 1955, dans l’article « À son gré » du quatrième numéro de la revue Médium. Pour Max Ernst, cette exclusion est vécue comme une « excommunication ».

Cinq ans plus tard, dans un collage, il éprouve encore le besoin de commenter le verdict des Surréalistes : « […] ayant vendu mon âme au Vatican, mon intégrité aux marchands de Venise ».

Après la Seconde Guerre mondiale, l’artiste revient en Touraine et y trouve refuge comme un autre peintre et théoricien de l’art : Léonard de Vinci. Il entreprend entre 1956 et 1957 de peindre plusieurs portraits du génie toscan. Dans un cycle dont fait partie Projet pour un monument à Leonardo da Vinci, Max Ernst se sent intimement lié au peintre de la Renaissance par sa vision de l’art et par son amour pour la Touraine. En 1956, la préfecture d’Indre-et-Loire accueille deux expositions, juxtaposant Renaissance et Art Contemporain : du 23 juin au 1er octobre, le musée des Beaux-Arts de Tours expose les dessins et manuscrits de Léonard de Vinci puis, du 10 novembre au 16 décembre, l’exposition de Max

Ernst, Man Ray et Dorothea Tanning. Max Ernst expose dix oeuvres, dont un petit portrait imaginaire de Léonard de Vinci, spécialement peint pour l’exposition.

Peintre, sculpteur, architecte, naturaliste et ingénieur, esprit universel de la Renaissance, Léonard de Vinci était l’un des principaux inspirateurs de la théorie de l’art de Max Ernst, axée sur la fixation de l’aléatoire et de l’inconscient. Max Ernst, qualifié de « Leonardo du surréalisme » dans une critique de l’exposition, avait utilisé dès 1936 dans son texte théorique sur l’art. Au-delà de la peinture, des passages du traité sur la peinture du maître florentin. Il justifie ainsi sa technique de frottage et son œil tourné vers l’intérieur, car « le rôle du peintre est de cerner et de projeter ce qui se voit en lui ». Max Ernst n’en a pas fini avec Léonard de Vinci. En hommage au génie universel, il crée pour la ville d’Amboise une fontaine qui sera inaugurée le 30 novembre 1968 par Michel Debré, alors maire de la ville et ministre de l’Économie et des Finances.

En 1957, un an à peine après l’exposition collective de Tours, Max Ernst réalise le grand tableau à l’huile Projet pour un monument à Leonardo da Vinci. À travers cette oeuvre, il ne souhaite pas représenter un monument qui soit voué à être édifié, mais une esquisse, empreinte de distance. Il s’agit d’une allusion indirecte à l’approche processuelle car Léonard de Vinci, dans ses dessins et ses manuscrits, s’intéressait davantage à l’idée qu’à sa réalisation.

Le grand format vertical est parsemé de stries de couleurs entremêlées, de densités fluctuantes, créées par une première application à la spatule qui se répète inconsciemment, en un geste staccato automatique que Max Ernst utilise de plus en plus depuis le début des années 1950. Des repeints et des rajouts viennent ensuite obscurcir différentes parties de l’image ou lui apporter un scintillement magique, et des motifs se détachent peu à peu.

Un oiseau de profil apparaît dans le coin inférieur gauche. À droite, deux mains à quatre doigts saisissent un cristal de lumière aux éclats rouges et jaunes, protégeant et conservant avec grand soin la flamme de la connaissance. Sur le bord gauche du tableau, s’étend une constellation avec des trajectoires, des orbites, des planètes. Avec ce motif, Max Ernst élargit le thème du processus de création au temps et à l’espace, ayant chacun une dimension d’infinité.

Le visage est remplacé par un masque, richement structuré. Une sphère à l’éclat jaune, nimbée d’un anneau rouge ombré, domine la moitié gauche de ce visage anguleux au menton pointu et à la large bouche partagée en deux. Le côté droit du visage est d’un blanc éclatant, avec un trait horizontal suggérant un œil clos.

Max Ernst joue sur la légendaire double nature de Léonard de Vinci, à la fois éminent naturaliste et artiste visionnaire tourné, vers l’introspection. Il illustre donc une vision élargie, un regard tourné à la fois vers l’intérieur et vers l’extérieur. Ernst illustre une référence visuelle à l’occhio tenebroso de Léonard de Vinci, œil sombre tourné vers l’intérieur, et résonne également avec une maxime de l’écrivain romantique allemand Caspar David Friedrich, que Max Ernst appréciait aussi : « Ferme ton œil physique, afin de voir ton image d’abord avec l’œil de l’esprit. Puis amène au jour ce que tu as vu dans l’obscurité, afin que cela agisse sur les autres de l’extérieur vers l’intérieur. »

À la fin de l’année 1958, Max Ernst obtient enfin la nationalité française. Cette nouvelle est fêtée au musée national d’Art Moderne de Paris par une grande rétrospective, du 13 novembre au 31 décembre 1959. Parmi les 175 oeuvres exposées, figure le Projet pour un monument à Leonardo da Vinci. L’importance de la toile est soulignée par le fait que peu de temps avant, ce tableau avait représenté la production récente de Max Ernst à la documenta II de Kassel, du 11 juillet au 11 octobre 1959.

*Prix TTC


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Aguttes

art impressionniste, moderne et contemporain

Vente : lundi 16 décembre 2019
Salle 5 - Hôtel Drouot - 9, rue Drouot 75009 Paris, France
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Tél. 01.47.45.55.55