ART RICHELIEU - 845 820 €* pour une toile de Camille Pissarro

samedi 18 juin 2022
Samedi 18 juin, c'est la vente de la maison Art Richelieu qu'il ne fallait pas manquer, à l'Hôtel Drouot. Une rare toile de Camille PISSARRO (1830-1903) intitulée Statue d'Henri IV et hôtel de la Monnaie, soleil du matin, peinte en 1903 a trouvé preneur pour 845 820 €*.
 

 
Camille PISSARRO (1830-1903)
Statue d'Henri IV et hôtel de la Monnaie, soleil du matin, 1903
Huile sur toile, signée et datée en bas à droite, titrée sur le châssis :
« 3e série La Monnaie et l'institut, soleil du matin »,
au dos : n°96 inscrit à l'encre sur la toile et sur le châssis, cachet en rouge des douanes de Berlin,
émis à la Porte de la gare de Anhalter.
Toile de la Maison P. Contet, 34 rue Lafayette, Paris (tampon au dos)
46 x 38 cm
Prix réalisé : 845 820 €*
Provenance : vendu par Pissarro au docteur Julius Elias


Ce tableau a appartenu à Julius Elias (1865–1927), Maître de conférence en histoire de l’art à Charlottenburg, éditeur et collectionneur d’art. En tant que critique, il soutient les impressionnistes français encore méconnus en Allemagne. Il avait rencontré Pissarro sur la côte normande en août 1902. Enthousiasmé par l’homme et sa peinture, il lui achète un tableau Vue du marché aux poissons à Dieppe.

Les Séries

À partir du milieu des années 90, l'artiste alterne tantôt la peinture de paysages de campagne, principalement normande, qui reste pour lui une sorte de paradis, tantôt multiplie des séjours en ville, qui lui offrent des motifs et des possibilités lumineuses nouvelles. La campagne d'Eragny est observée de son atelier, construit dans le jardin de la propriété ou à l'occasion d'excursions dans les proches environs. Mais son infection oculaire chronique, lui rendant bientôt impossible la peinture de plein air, va imposer un choix déterminant pour sa pratique picturale : Pissarro doit poser son chevalet en un lieu abrité.
Après des vues de Londres et de Rouen, Pissarro entame des séries, suite de paysages urbains exécutés de la fenêtre d'une chambre d'hôtel ou d'une location saisonnière, ce point de vue unique lui permettant de varier le motif en fonction de la saison et de la météorologie. À Paris, il peint successivement des Séries sur le Quartier Saint-Lazare, 1893, Le Boulevard Montmartre,1897, observé depuis une fenêtre du Grand hôtel de Russie, La place du Théâtre Français, 1897/1898 depuis une fenêtre du Grand Hôtel du Louvre, le Jardin des Tuileries et le Louvre, 1899–1900 et La Place Dauphine, qui sera l'objet de trois Séries entre 1900 et 1903.
De ces points de vue surélevés, il observe les carrefours, les boulevards, les ponts et les monuments. Cette contrainte n'est pas contradictoire avec ses préoccupations picturales antérieures : la représentation de la profondeur spatiale associée au rendu de l'atmosphère urbaine, ses variations lumineuses et météorologiques. Le chevalet placé en surplomb lui permet aussi de saisir et détailler en contrebas le mouvement de la rue moderne avec ses passants, les attelages ou les omnibus. L'artiste alterne systématiquement des séjours parisien, de la fin de l'automne jusqu'au début du printemps, avec des séjours estivaux en Normandie pour d'autres séries (Dieppe, été 1901 et 1902, Le Havre, été 1903). Entre ces périodes d'intense activité picturale, il s'autorise des poses dans sa thébaïde d'Eragny, ce qui lui permet encore de peindre les transformations de la la végétation et du paysage.

Le 16 mars 1900, Pissarro écrivait à son fils Lucien : « J'ai trouvé un appartement sur le Tertre du Pont-Neuf avec une très belle vue. Je vais déménager en juillet...» L'appartement en question se trouvait 28, place Dauphine. Pissarro peindra trois séries durant les hivers 1900-1901, 1901-1902 et 1902-1903, soit 45 tableaux qui englobent des vues du Pont-Neuf, de la statue d'Henri IV avec, parfois, l'Hôtel de la Monnaie, Rive Gauche et plus souvent la Rive Droite et le Louvre.

Les titres des tableaux, Le Louvre, soleil couchant, le Louvre, brume, le Pont-Neuf, temps gris... témoignent de la démarche impressionniste du peintre et le rapproche des séries des « Meules » et des « Cathédrales » de son condisciple Claude Monet. Comme ce dernier, Pissarro met en chantier plusieurs tableaux en même temps, qu' il interrompt, puis reprend dès que les conditions initiales réapparaissent. La Série donne ainsi une force supplémentaire aux tableaux, permettant de les fondre en une harmonie d'ensemble.

Marchands, experts et amateurs au début du XXe siècle

Durant les années 90, Pissarro, qui jusqu'ici vendait mal ses tableaux, connaît enfin une amélioration notable de sa situation matérielle. L'activité de son marchand Paul Durand-Ruel est incessante : achats à l'artiste, expositions dans sa galerie parisienne et la succursale de New-York, envois et prêts de tableaux dans les institutions et galeries à l'étranger (New-York, Londres, Glasgow, Berlin, Munich, Saint-Pétersbourg, Pittsburgh). De plus, le marchand soutient les prix des toiles de Pissarro dans les ventes de collections aux enchères à Drouot. Mais la situation va devenir beaucoup plus difficile dans les deux dernières années de la vie du peintre (1902-1903).

L'artiste entretient toujours sa nombreuse famille dans la propriété d'Éragny, verse des pensions à ses fils et les séjours dans les hôtels ou les locations saisonnières sont onéreux. De plus, Pissarro, d'une grande générosité, aide régulièrement ses amis artistes en difficulté et soutient aussi un journal et des associations de sensibilité anarchiste. Son principal marchand Durand-Ruel le vend peu et restreint ses acquisitions (2 achats en 1902, aucun en 1903). Pissarro se plaint régulièrement dans ses courriers à son fils de l'attitude de Durand qui négocie les prix trop durement à ses yeux. Pissarro essaye sans trop de succès d'organiser une concurrence entre Durand-Ruel et les jeunes frères Bernheim. Mais ces derniers ne se montrent guère empressés pour les artistes impressionnistes. Même s'ils aident ponctuellement l'artiste, en tant qu'experts en vente aux enchères en soutenant parfois les prix (par exemple lors de la dispersion du critique d'art Arsène Alexandre, mai 1903). Le jeune Marchand Félix Gérard lui achète quelques tableaux (sa Série d'été de Dieppe de 1902, notamment) mais n'a pas le potentiel commercial des deux grands marchands parisiens.
Un espoir, qui ne sera pas confirmé, semble naître du côté de l'Allemagne grâce au célèbre marchand berlinois Paul Cassirer, actif dans le milieu de la Sécession berlinoise, qui souhaite populariser l'impressionnisme français auprès de la clientèle allemande. Pissarro tente par son ami Julius Elias de sonder les intentions de Cassirer et tente d'éviter une entente entre marchands français et allemands. Pissarro ne peut guère compter sur les amateurs privés dont les acquisitions sont très ponctuelles même s'il a l'estime et le soutien de personnalités influentes (le collectionneur Gustave Cahen, président de la Société des Amis des Arts de Dieppe). Mais malgré des difficultés permanentes, la grandeur de Pissarro s'exprime dans le jugement de Duret sur l'homme qui était toujours quelque soit les circonstances « bienveillant et d'une humeur paisible »..

L'homme Pissarro

« L'humble et colossal Pissarro », selon Cézanne, est peut être la personnalité la plus attachante parmi les peintres impressionnistes. Animateur du mouvement mais longtemps ignoré de la critique, peintre–paysan qui cultive son jardin pour nourrir une famille très nombreuse (sept enfants dont deux disparaîtront de son vivant), peignant sans relâche malgré un risque de cécité à la fin de sa vie (à la fin de la journée il nettoie ses pinceaux pour reprendre son travail sur le chevalet dès l'aube), généreux avec ses amis en difficulté financière (la veuve Sisley, le peintre aveugle Maurin), « Il est d'un caractère bienveillant et d'une humeur paisible » (Théodore Duret).

* Montant frais inclus

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Art Richelieu

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Vente : samedi 18 juin 2022
Salle 14 - Hôtel Drouot - 9, rue Drouot 75009 Paris, France
Maison de vente
Art Richelieu
Tél. 01 42 24 80 76